Page mise à jour le 14/10/2015

HOMMAGE au Sire de Chambley
(1856-1941)


De son vrai nom Edmond Haraucourt
 Attention ce qui suit n'est pas de la lecture pour les petits z'enfants


Adam et Eve

Et tous deux s'étonnaient de tant de différence
Dans les formes du corps et les tons de la peau.
Adam la trouvait belle; Eve le trouvait beau.
Ils se taisaient, mais ils raisonnaient en revanche.

Adam reprit enfin: « Comme vous êtes blanche !
Pourquoi Dieu vous a-t-il mis des cheveux si long ?
Les miens sont courts et noire et les vôtres tout blonds
C'est vraiment très joli, ces lourdes tresses blondes ...

Eve
Vous trouvez?

Adam
Très joli ... Mais ces machines rondes,
Là, sur votre poitrine, à quoi cela sert-il ?

Eve
Je n'en sais rien. Mais vous, au-dessous du nombril,
Qu'est-ce que vous portez dans cette touffe noire,
Sur ce double coussin ?

Adam
Je m'en sers ... après boire.

Eve
Seulement ? cela doit vous gêner pour marcher ?

Adam
Pas trop ... on s'habitue.

Eve
Est-ce qu'on peut toucher ?

Adam
Si vous le désirez ...

Eve
Je suis si curieuse.
Alors, vous permettez ? ... »
Eve blanche et rieuse,
Avança doucement ses petits doigts rosés,
Puis, s'arrêtant soudain : « Je n'ose pas !

Adam
Osez!
Est-ce qu'il vous fait peur ?

Eve
Peur? Oh ! non : je suis brave.
Tiens ! c'est tout rouge au bout. On dirait une rave.
C'est pour le protéger, sans doute, cette peau ?
Ce n'est pas laid du tout.

Adam
Oh ... ce n'est pas très beau.

Eve
Mais si : c'est très gentil. »
Et les mignons doigts roses
Allaient, couraient, venaient, faisaient de courtes poses,
Comme des papillons voltigeant sur des fleurs.
« Oh mais, regardez donc. Il a pris des couleurs.
Comme c'est drôle! Il est plus grand que tout à l'heure.
Il se dresse, il frémit. Ciel ! une larme : il pleure ! »
Eve essuya la larme à ses cheveux dorés.

Eve
« Il pleure, il pleure encore ! Est-ce que vous souffrez ?

Adam
Au contraire.

Eve
Oh, monsieur Adam ! il est énorme,
Maintenant ! il n'a plus du tout la même forme.
C'est très raide et très dur ... A quoi peut-il servir ? »

Adam lui répondit, dans un profond soupir :
« Est-ce que vous croyez qu'il sert à quelque chose ?

Eve
Je n'en suis pas très sure : au moins, je le suppose.
Vous m'avez dit tantôt: « Dieu fait bien ce qu'il fait. »
Toute chose a son but si ce monde est parfait.

Adam
Oui, si Dieu m'avait dit ce qu'il veut que j'en fasse
De ce ... Mais vous, comment ? ...

Eve
Moi, je n'ai que la place.
C'est peut-être un oubli : Voyez.

Adam
Je ne vois rien.

Eve
Non, pas là, maladroit ! Ici .. regardez bien.

Adam
C'est juste ! On vous a même arraché la racine !
La fosse est toute fraîche ... Est-ce que la voisine
Communique ? ... Pour voir, si j'y mettais mon doigt ?

Eve
Mettez ce qu'il faudra.

Adam
Diable ! C'est bien étroit ! »
Il glissa sous la femme une main caressante ...

Eve bondit, l'œil clos, la croupe frémissante,
Les seins tendus, les poings crispés dans ses cheveux
Tout son être frémit d'un long frisson nerveux.
Et le soupir mourut entre ses dents serrées.
« Encore » ! Elle entrouvrit ses deux cuisses cambrées,
Et le premier puceau vint tomber dans ses bras!
« Encore ! Cherche encore ! Oui. Tant que tu voudras. »

Comme il croisait ses mains sous deux épaules blanches
Adam sentit deux pieds se croiser sur ses hanches.
Leurs membres innocents s'enlaçaient, s'emmêlaient.
S'ils avaient pu savoir, au moins, ce qu'ils voulaient:
O pucelage ! Alors, presque sans le comprendre,
Tous deux en même temps, d'une voix faible en tendre,
Murmurèrent: « Je t'aime. » Et le premier baiser
Vint, en papillonnant, en riant, se poser
Et chanter doucement sur leurs lèvres unies.

Dieu, pour les ignorants, créa deux bons génies:
L'instinct et le hasard. Or, au bout d'un instant,
Eve avait deviné ce qui l'intriguait tant.
Avez-vous jamais vu le serpent que l'on chasse ?
De droite à gauche, errant, affolé, tête basse,
En avant, en arrière, il va sans savoir où.
Il s'élance; il recule, il cherche; il veut un trou,

Un asile où cacher sa fureur écumante.
Il cherche: il ne voit rien, et son angoisse augmente.
Mais, lorsqu'il aperçoit l'abri qu'il a rêvé,
Il entre et ne sort plus. Adam avait trouvé !

Un cri, puis des soupirs: l'homme a compris la femme.
Les deux corps enlacés semblaient n'avoir qu'une âme.
Il se serraient, il se tordaient, ils bondissaient.
Les chairs en feu frottaient les chairs, s'électrisaient.
Les veines se gonflaient. Les langues acérées
Cherchaient une morsure entre les dents serrées,

Des nerfs tendus en fous, des muscles contractés,
Des élans furieux, des bonds de volupté ...
Plus fort ! Plus vite ! Enfin, c'est la suprême éteinte,
Le frisson convulsif ...

Eve alanguie, éteinte,
Se pâme en un soupir et fléchit sur ses reins !
Ses yeux cherchent le ciel ; son cœur bat sous ses seins.
Son beau corps souple, frêle, et blanc comme la neige,
S'arrondit, s'abandonne au bras qui la protège.
Adam, heureux et las, se couche à son côté.

Puis, tous deux, lourds, le sein doucement agité
Comme s'ils écoutaient de tendres harmonies,
Rêvent, dans la langueur des voluptés finies.

Mais Eve: « Dieu, vois-tu, ne fait rien sans raisons,
Dieu fait bien ce qu'il fait ... Viens là ! Recommençons ... »



Suzy Solidor qui interpréta l'œuvre (peinte par Tamara de Lempicka (1898-1980) en 1933)
Suzy Solidor (1900-1983) fut une chanteuse populaire avant et pendant la guerre de 1939-1945, elle est aujourd'hui injustement oubliée(1). En 1937, elle interpréta "L'Opéra de quat'sous" de Bertold Brecht, au théâtre de l'Étoile. Elle chanta avec succès "Johny Palmer", mais aussi une adaptation française de "Lili Marleen", qu'elle chanta devant les soldats de la Wehrmacht, (cela lui valu de connaître quelques ennuis à la Libération). Elle ouvrit en 1949 le cabaret, "Chez Suzy Solidor", rue Balzac (près des Champs-Elysées) qu'elle abandonna à la fin des années 1950 pour se retirer sur la Côte d'Azur. S'est rendue célèbre par son look de garçonne et sa voix très grave, mais surtout pour ses penchants bisexuels qu'elle a clairement affirmé notamment au travers certaines de ses chansons (Chaque femme, je la veux, 1933, Ouvre, 1934 sur de paroles du Sire de Chambley). Elle eut aussi une liaison avec l'aviateur Jean Mermoz.  Elle fut aussi l'égérie des nombreux peintres et artistes de sa génération (Man Ray, Dufy, Vlaminck, Picabia, Van Dongen, Foujita, Marie Laurencin, Paul Colin et surtout Tamara de Lempicka.

Ouvre

Ouvre les yeux, réveille-toi ;
Ouvre l'oreille, ouvre ta porte :
C'est l'amour qui sonne et c'est moi
Qui te l'apporte.

Ouvre la fenêtre à tes seins ;
Ouvre ton corsage de soie ;
Ouvre ta robe sur tes reins ;
Ouvre qu'on voie !

Ouvre à mon cœur ton cœur trop plein :
J'irai le boire sur ta bouche !
Ouvre ta chemise de lin :
Ouvre qu'on touche !

Ouvre les plis de tes rideaux :
Ouvre ton lit que je t'y traîne :
Il va s'échauffer sous ton dos.
Ouvre l'arène.

Ouvre tes bras pour m'enlacer ;
Ouvre tes seins que je m'y pose ;
Ouvre aux fureurs de mon baiser
Ta lèvre rose !

Ouvre tes jambes, prends mes flancs
Dans ces rondeurs blanches et lisses ;
Ouvre tes genoux tremblants...
Ouvre tes cuisses !

Ouvre tout ce qu'on peut ouvrir :
Dans les chauds trésors de ton ventre
J'inonderai sans me tarir
L'abîme où j'entre.

Sire de Chambley. 1902 - Mise en chanson par Suzy Solidor, puis par Pierre Perret (trouvable sur le net)


Notes (1) Que voulez-vous tous les français, aujourd'hui se figure que la seule chanteuse "d'avant" était Edith Piaf !