Hommage à Adolphe Willette
(1857-1926)
Page mise à jour le 21/01/2014

Nous sommes en 2004, le conseil municipal du 18ème arrondissement de Paris a voté à l’unanimité la décision de débaptiser l'immense square Adolphe Willette qui fait face au Sacré-Cœur. Quasiment personne n'utilisait l'expression "Square Adolphe Willette", les gens préférant parler des "Jardins du Sacré-Cœur", mais la question n'est pas là !

Adolphe Willette est un des grands illustrateurs de la fin du 19ème siècle. Réalisant parfois des bandes dessinées, il donna figure à Pierrot et Colombine, dessinant même la maquette du Moulin Rouge (qui sera inauguré en 1889) au cœur de ce Montmartre dont il était une des figures marquantes. Il participe  à la création du cabaret du boulevard Rochechouart Le Chat noir, où il expose d'abord une toile refusée au Salon, puis qu'il décore ensuite de panneaux et de son fameux Parce Domine (1884), (Musée de Montmartre). Il y côtoie Toulouse-Lautrec, Paul Signac, Camille Pissarro, Vincent Van Gogh, Georges Seurat.... Il décore de nombreux cabarets et restaurants de la Butte Montmartre


Parce Domine (1884) - Musée de Montmartre

Polémiste dans l'âme, il collabore à plusieurs journaux satyriques. Il fait preuve d'un anticléricalisme réjouissant, d'un antimilitarisme affirmé et d'un érotisme surprenant

Il soutiendra la commune de Paris, et s'élèvera avec force contre le projet de construction de la Basilique du Sacré-Cœur (financé par souscription et destiné selon le clergé à expier les "crimes" de la commune de Paris")

En 1891, il prend la défense du communard Montmartrois, Jean-Baptiste Clément (l'auteur du temps des cerises) condamné pour ses activités syndicalistes et militantes à deux ans de prison et cinq ans d'interdiction de séjour.

Guillaume Apollinaire comptait parmi ses plus fervents admirateurs. :" l'on devrait donner le prix Nobel de la paix à cet artiste qui a fait presque autant de dessins contre la guerre que contre l'hypocrisie de ceux qui détestent la beauté."

Adolphe Willette meurt en 1926 et est inhumé au cimetière du Montparnasse. En 1927 l'immense nouveau square inauguré au pied du Sacré-Cœur est baptisé en son honneur square Willette. Il porte ce nom jusqu'en 2004. Cette année là, le Conseil de Paris le rebaptise "square Louise Michel"

Que c'est-il donc passé ?

Ben, le problème c'est qu'Adolphe Willette a déconné, il a même déconné grave, il a collaboré activement au journal antisémite "La Libre Parole illustrée" et comme si ça ne suffisait pas,  il se présente comme candidat antisémite déclaré aux élections législatives du 22 septembre 1889, en pleine affaire Dreyfus.

Ben oui, c'est pas bien, c'est même, n'ayons pas peur des mots "dégueulasse"... mais car il y a un mais que nos ayatollahs du politiquement correct n'ont pas voulu voir.

Ce qu'on oublie c'est qu'après ces dérapages peu glorieux, marqués par le contexte de l’Affaire Dreyfus, il s'est repenti de ses errements (vous en connaissez beaucoup des types capables de faire ça ?) Willette est même le SEUL antisémite qui ait arrêté (à quelques dessins près, et fort médiocres) de faire des charges antisémites après l’affaire Dreyfus, tant la violence de l’Affaire l’avait épouvanté. Il va se concentrer sur les protestants, les bourgeois, mais surtout les anglais et les allemands. Ses dessins de l’Assiette au Beurre le voient entrer dans le cercle restreint des dessinateurs anticoloniaux. Comme le faisait remarquer quelqu'un sur le web "On aurait pu illustrer la plaque de Louise Michel par le frontispice de sa première plaquette éditée après son retour de déportation : Celui-ci a été dessiné par un des seuls dessinateurs de l’époque recherchant la compagnie des anciens communards, un certain... Adolphe Willette ! "

Le changement de nom du square (28/2/2004 en grande pompe) a donné lieu à des délires verbaux qu'on vous laisse apprécier :

Le président (écolo) du conseil de quartier revendiqua l’idée de débaptiser la place en lui attribuant le nom de la célèbre féministe anarchiste, "en pensant, dit-il, au fait que chaque année les intégristes de Saint-Nicolas du Chardonnet, proches de l’extrême-droite, viennent se réunir ici le soir de Pentecôte. Je suis sûr qu’ils seront contents de se réunir dans le square Louise Michel..." Cet amnésique oubliant que le Conseil de Paris présidé par Bertrand Delanoë n'a jamais exigé l'expulsion des dits intégristes de l'église Saint-Nicolas du Chardonnet qu'ils occupent de façon illégale depuis des décennies ! Et oubliant aussi que les énergumènes ont toujours nommé le square "Jardin du Sacré-Cœur" et qu'ils continueront bien sûr à le faire !:

Quant à Delanoë, justement (il était là !) :  "Nous arrachons le nom du philosophe-dessinateur antisémite pour mettre le nom d’une femme porteuse des valeurs de fraternité qui sont les nôtres... et patati patata... faisant semblant d'oublier tout ce que Willette avait défendu, faisant semblant d'oublier l'amitié qui liait justement Louise Michel et Adolphe Willette.

Personne n'est parfait, si on donnait des noms de rues qu'à des personnes à la vie sans tâche, il n'en resterait pas une. Encore une fois l'antisémitisme n'a aucune excuse, mais de là à traîner dans la boue celui qui fut un communard engagé, un antimilitariste, anticlérical et anticolonialiste convaincu, ainsi qu'un joyeux libertin, il y a un pas que certains ont franchi. Cela ne les honorent pas. Willette n'était pas un saint mais que sont-il eux ?




Trois illustrations de Pierrot et Colombine - Sur la troisième Pierrot "se meurt" du projet de construction de la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre

 
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