530 Septembre 2015
-Prostitution
Les
travailleurs/euses du sexe demandent l'égalité des droits
Il a fallu deux années de recherche à Amnesty International
pour arriver à la conclusion révolutionnaire selon laquelle le
meilleur moyen d’assurer la sécurité et le respect des droits
civiques des travailleurs sexuels est de dépénaliser leur
profession. Pas la légaliser, mais la dépénaliser.
La différence est subtile puisque la première permet à l’Etat
de réglementer le travail sexuel sous forme de décrets
extrêmement spécifiques et qu’on peut facilement violer,
tandis que la deuxième supprime simplement la loi interdisant
le commerce sexuel en le reconnaissant comme étant un travail
comme un autre.
A la suite d’un vote à Dublin la semaine dernière, le conseil
exécutif d’Amnesty a annoncé qu’il allait échafauder un
nouveau modèle de législation pour aborder ce sujet, et en
attendant, a appelé les Etats à s’assurer que les
travailleurs sexuels bénéficient d’une protection juridique
totale et égale face à l’exploitation, le trafic et la
violence, en leur permettant d’exercer et de s’organiser de
manière indépendante
“La dépénalisation permet aux travailleurs sexuels de
maîtriser eux-mêmes la gestion de leur commerce et de leur
emploi”, explique Liad Kantorowicz, âgée 37 ans, consultante
chez Hydra, la première organisation allemande de soutien et
de conseil pour les travailleurs du sexe. Kantorowicz, qui a
quitté Israël pour Berlin il y a cinq ans et travaillé comme
prostituée pendant seize ans s’explique: “Ce modèle renforce
leurs liens avec la société civile et leur confiance envers la
police. Ainsi lorsqu’ils en ont besoin, ils peuvent demander
de l’aide sans craindre que quelqu’un trouve une raison pour
leur donner une amende, les arrêter ou les expulser”.
En Allemagne, la prostitution a été légalisée en 2002 par une
loi fédérale, mais chaque Etat et chaque ville garde la
liberté d’imposer ses propres limites. En conséquence, la loi
n’a pas été pleinement mise en œuvre dans tous les “Länder” du
pays qui préfèrent par exemple, restreindre le commerce sexuel
à des zones spécifiques., créant ainsi un problème
principalement pour ceux qui préfèrent travailler à leur
compte ou dans de petits bordels, plutôt que dans des chaînes
de maisons close de type McDonalds qui ont rapidement pullulé
dans ces quartiers.
“Cette condition n’existe dans aucun autre secteur
d’activité”, a confié Kantorowicz à i24news. “Et si vous
sortez de ces zones, vous vous mettez sous le coup de la loi..
Si les législateurs ont reconnu ce travail, pourquoi ne pas
l’autoriser partout, comme tout autre commerce ? Repousser les
prostituées hors des villes dans des zones inhabitées ne sert
à rien d’autre si ce n’est les mettre en danger et perpétuer
leur exclusion de la société”.
La décision d’Amnesty a provoqué de vives critiques.“Amnesty
se bat pour les proxénètes”, affichent les titres des médias,
même dans les régions relativement progressistes d’Allemagne,
où les militantes féministes dénoncent la décision de “soutien
aux coupables au détriment des victimes”.
Avant que la résolution ne soit adoptée, la Coalition contre
le Trafic de Femmes (CATW, ndlr) a averti que son approbation
coûterait à l’organisation sa crédibilité et “polluerait
sérieusement” son nom. Cette position a été soutenue par près
de10.000 signataires d’une pétition mise en ligne, dont des
organisations de droits des femme, des médecins et des stars
comme les actrices Meryl Streep, Kate Winslet et Emma
Thompson.
“Les stars d’Hollywood ne connaissent rien à la vie des
travailleuses du sexe, et ne comprennent pas les conséquences
de cette décision”, a affirmé Kantorowicz, balayant les
critiques. “Le trafic n’a rien à voir avec l’exploitation.
L’Allemagne dispose déjà d’une très bonne législation contre
le trafic qui est appliquée de manière efficace et a permis de
réduire considérablement ce phénomène ces dernières années”.
“D’autre part, l’exploitation est facilitée par le fait que
les travailleurs sexuels sont généralement des migrants, des
femmes et des transgenres qui sont d’ores et déjà vulnérables
socialement. Il existe des institutions, certaines d’entre
elles financées par le gouvernement, qui tentent d’aider ces
personnes lorsqu’elles sont victimes d’abus ou travaillent
dans de mauvaises conditions. Mais elles ne signalent leur
maltraitance uniquement lorsqu’elles ont confiance en ces
organisations et qu’elles sont certaines de ne pas être
‘arrêtées ou protégées’ ”, souligne-t-elle.
“Lorsqu’avec Hydra nous nous rendons dans les maisons closes
et proposons nos services, souvent nous nous retrouvons devant
une porte close car les travailleurs ne font pas la
distinction entre ceux qui veulent aider et ceux qui sont une
menace et ils vivent ainsi dans la crainte.
Les descentes de police dans les maisons closes ne font
qu’augmenter depuis 2012, bien que cela relève de la
responsabilité des inspecteurs du Travail, comme l’avaient
prévu les législateurs”.Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils se
disent prêts à étendre leur réglementation.
L’année prochaine, de nouveaux amendements concernant la loi
sur la prostitution devraient prendre effet. Les prostitués
devront se présenter auprès des autorités, se soumettre à un
examen de santé obligatoire et aller à une consultation sur la
nutrition et la drogue. S’ils sont jugés aptes au travail
sexuel, une autorisation de travail leur sera remise afin
qu’ils puissent la présenter aux clients et aux employés.
“On nous traite comme des animaux, on nous examine pour voir
si nous sommes propres et ne sommes pas un risque pour la
société. Il en était de même à l’époque des Nazis”, s’indigne
Kantorowicz. “Vous voulez empêcher notre exploitation ? Dans
ce cas, dépénalisez et renforcez notre société civile”.
Pour le prouver, elle donne l’exemple de la Nouvelle-Zélande.
Il s’agit du premier pays à avoir accordé aux femmes le droit
de vote en 1893, et est aussi le seul zu monde (à l’exception
d’un seul Etat d’Australie) à avoir effectivement dépénalisé
la prostitution. “Je pourrais aller maintenant voir la
factrice et lui demander si elle veut me payer en échange d’un
service sexuel, et cela serait parfaitement légal”, a expliqué
Catherine Healy, 59 ans, co-fondatrice de l’Association des
Prostituées de Nouvelle-Zélande (NZPC, ndlr) établie en 1987,
longtemps avant que la loi ne change en 2003. “Avant cela,
c’était illégal de demander de l’argent en échange d’un acte
sexuel, mais pas pour les clients, dont les démarches étaient
toujours considérées légales”.
Elle attribue le succès des efforts pour faire passer la
nouvelle législation aux organisations féminines, aux
organismes de santé publique et aux associations de droits
civiques, qui ont compris que pas grand chose ne pourrait être
atteint par le biais d’une législation restrictive. “Le combat
a été très serré”, affirme Healy, elle-même prostituée pendant
sept ans, “et nous nous disputons encore sur certaines
questions. Sauf qu’aujourd’hui, les travailleurs sexuels
disposent de plus d’alternatives et de pouvoir sur leur propre
travail”.
“Vous pouvez travailler hors de chez vous ou travailler en
équipe avec des amis pour assurer votre sécurité. Vous pouvez
publier des annonces sur internet ou sur papier. Nous n’avons
pas de registre d’Etat sur lesquels nos noms sont inscrits, ni
même d’examen obligatoire à passer. La seule obligation
concerne les maisons closes, qui doivent obtenir une
attestation les autorisant à employer d’autres personnes, mais
même la police n’a pas accès à cette base de données”.
Cette politique a été réexaminée à plusieurs reprises par le
gouvernement, notamment à la demande d’organisations
confessionnelles locales, mais on n’a trouvé aucune raison de
modifier la législation A chaque fois qu’un conseil municipal
tente de restreindre leur profession, les travailleurs sexuels
ont recours à la justice et, dans la plupart des cas,
obtiennent gain de cause. Cette même reconnaissance juridique
a récemment permis à une prostituée de poursuivre en justice
une maison close pour s’être adressée à elle de façon
inappropriée. Le responsable a été condamne à 25.000 dollars
néo-zélandais (soit 14.676 euros) et à suivre un stage de
sensibilisation au harcèlement sexuel.
“Dépénalisation ne signifie pas déréglementation”, insiste
Healy. “Cela signifie que les mêmes contrôles auxquels se
soumettent tous les lieux de travail, comme les
réglementations liées au travail et à la santé, s’appliquent
également aux travailleurs sexuels. Lorsque nous avons modifié
la loi il y a douze ans, certains ont prédit que la situation
allait devenir hors de contrôle…
Il y a cette notion de traiter les travailleurs du sexe comme
des enfants que nous devons surveiller deux fois plus, mais il
n’y a aucune raison, et notre modèle en est la preuve”.
Polina Garaev (correspondante d’I24news en Allemagne.)
Source :
http://www.i24news.tv/fr/actu/international/82941-150822-les-travailleurs-euses-demandent-l-egalite-des-droits |
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