511 Février 2015 - Québec
Il
s’est appelé le Globe, le Pussycat et depuis plus de 33 ans le
Cinéma l’Amour. Seul cinéma libertin à Montréal, et l’un des
plus grands en Amérique du Nord, il réussit à survivre tant
bien que mal, malgré l’accessibilité de la porno sur internet.
"On vient toujours pour la projection de nos films XXX, mais
les gens viennent surtout pour vivre leurs fantasmes et pour
faire des rencontres dans un endroit où presque rien ne leur
est interdit", explique Steve Koltai, fils du propriétaire du
cinéma qui prend tous les moyens pour attirer la clientèle.
"Dommage qu’il subsiste toujours un tabou à l’égard de
l’endroit. Le cinéma n’a rien d’un peep
show glauque
où un seul employé travaille avec une moppe et une chaudière",
dit-il. Bien que l’époque soit bien révolue où s’entassaient
des spectateurs qui, pour quelques dollars, pouvaient vivre
sur grand écran leurs désirs les plus coquins, Steve Koltai,
qui administre l’entreprise, est bien décidé à convaincre de
plus en plus de Québécois à ouvrir leurs œillères : "Après
tout, nous sommes tous un peu voyeurs et les Montréalais ont
toujours eu l’esprit ouvert", ajoute-t-il.
Comment
faites-vous pour survivre alors que la porno est plus présente
que jamais sur le web ?
Parce que ma famille est propriétaire de la bâtisse et que
nous n’avons pas à payer de loyer. C’est tout un tour de force
de survivre à l’ère de l’internet en plus d’être situés dans
un quartier résidentiel de hipsters.
Les taxes municipales sont très élevées et il est difficile de
trouver du stationnement. Plusieurs commerces voisins ont
fermé leur porte.
L’entreprise est tout de même rentable ?
Il y a des journées où je perds de l’argent. Quand il y a une
tempête de neige, et qu’il n’y a pas de place pour stationner,
j’ai très peu de clients. Une journée en semaine, je peux
faire entre 300 et 600 $, le week-end, entre 1000 et 1400 $
par jour. Les temps sont durs, mais nous existons tout de même
depuis plus de 33 ans, c’est extraordinaire.
Pourquoi après tant d’années les gens viennent-ils encore au
Cinéma l’Amour ?
Parce qu’il y a bien plus que de la porno sur grand écran au
Cinéma l’Amour. Les gens viennent pour l’interaction sociale.
J’ai des clients fidèles qui viennent depuis 20 ou 30 ans. Ils
fréquentent l’endroit pour vivre leurs fantasmes, pour faire
des rencontres, mais aussi pour échanger avec les membres du
personnel.
Quelle est votre clientèle exactement ?
Surtout des gens qui veulent faire des rencontres. Qu’ils
soient retraités, jeunes professionnels, professeurs
d’université et même présidents de grandes entreprises. Il y a
beaucoup de curieux également qui viennent une seule fois pour
vivre une expérience. D’autres qui se donnent des rendez-vous
secrets. Le cinéma est même devenu un point de ralliement pour
les échangistes.
Qu’est-ce qui se passe derrière les portes closes de cette
salle mythique ?
C’est simple, vous n’avez qu’à laisser courir votre
imagination. Que feriez-vous devant un film hardcore présenté
sur un écran géant accompagné de la personne que vous aimez le
plus au monde, dans une ambiance tamisée, tout en sachant que
d’autres actes intimes se déroulent non loin de vous ? Tout
est permis chez nous à condition de le faire dans le respect
et la discrétion. Clairement, je ne suis pas là pour casser le
party de personnes. Il y a des gens qui font l’amour dans des
boîtes de nuit, des restaurants. Ici, l’ambiance s’y prête
encore plus. Les films, l’image, le son sont de bonne qualité.
L’endroit est propre... Il n’y a pas de violence. Nous avons
zéro tolérance pour la prostitution et la consommation de
drogue. Montréal est une ville tolérante, et il faut avoir
l’esprit ouvert pour fréquenter le cinéma.
Est-ce que tout est permis, même les relations sexuelles
complètes ?
Je ne peux pas dire le contraire. Techniquement, nous n’avons
pas le droit, car il s’agit d’un endroit public, mais est-ce
qu’il y a de la tolérance au Cinéma l’Amour, bien sûr. Les
gens sont plus excités de s’adonner à leurs fantasmes dans un
tel environnement qu’ils soient en couple, travestis,
homosexuels, échangistes ou autres. Mais attention aux ébats
trop bruyants. Par respect pour les autres, il peut nous
arriver d’intervenir dans certains cas. Forcément, le cinéma
attire une clientèle de voyeurs et d’exhibitionnistes.
Certains clients viennent uniquement pour observer des couples
en pleine action. Si l’une de leurs fantaisies est de voir
quelqu’un se masturber à proximité, il risque de se réaliser
au Cinéma l’Amour.
Quelle est la différence entre les clubs échangistes et votre
cinéma ?
Tout est différent. Ici, il n’y a pas de lits, personne ne se
promène nu. Je n’ai pas de permis d’alcool. Les gens ont la
liberté de faire ce qu’ils veulent, mais notre objectif n’a
jamais été de les encourager à se prêter à des jeux sexuels.
Notre cinéma est géré de la même manière qu’il y a 30 ans.
Que
dire du préjugé selon lequel la clientèle serait constituée de
"Pee-Wee Herman" plutôt âgés ?
Tous les jours, entre 80 et 120 personnes se présentent sur
les lieux. Ils rentrent et sortent au bout de 15-30 minutes,
d’autres y passent une grande partie de la journée. Le jour,
les clients sont plus matures, effectivement, ils ont entre 60
et 80 ans. Mais le soir, ça prend une tout autre allure. Il y
a beaucoup d’échangistes, certains ont de 20 à 30 ans, mais la
plupart ont plus de 40 ans.
Et la
propreté dans tout ça ?
Le ménage est fait régulièrement, mais on n’inspecte pas tous
les bancs à chaque fois. À 400 places, ça prendrait une équipe
de 5 personnes. Nous avons une clientèle fidèle et
respectueuse. On est loin des Peep
Show glauques
où un seul employé travaille avec une moppe et une chaudière.
Je suis attaché à l’entreprise familiale, j’y passe beaucoup
d’heures, et je peux vous assurer que l’endroit est bien tenu.
Les
femmes font-elles partie de cette clientèle ?
Dans le passé, elles venaient plus fréquemment. Aujourd’hui,
ça arrive de temps en temps. Certaines viennent en couple.
J’ai souvent entendu dire que ce sont elles qui insistent le
plus pour convaincre leur conjoint de venir en couple. J’ai
déjà aussi vu des couples de femmes faire l’amour dans la
section VIP au balcon pour ceux qui souhaitent plus
d’intimité. D’autres se masturbent tout en se sachant
observées. J’aimerais en avoir davantage, tout comme je
souhaite attirer de plus en plus une jeune clientèle. Pour
cette raison, nous avons une page Facebook, une page Google +
et un site web évidemment. J’organise de plus en plus
d’événements spéciaux. J’ai instauré les soirées gratuites
pour attirer les couples hétérosexuels. Lors de ventes
trottoir sur la rue Saint-Laurent, je tente par tous les
moyens possibles de retenir leur attention.
Personnellement, vous êtes un adepte du porno, Steve ?
Aucunement. Je ne fais que gérer le cinéma de la famille. Je
ne connais pas les vedettes de l’industrie. Tous les quatre
mois, mon distributeur m’envoie une vingtaine de films et je
passe un à deux jours à les visionner de 5 à 10 minutes
chacun. Je m’assure de la qualité de l’image qui nécessite
beaucoup de brillance et de luminosité. Je préfère présenter
les films dans leur version originale. Aussi surprenant que ça
puisse paraître, je recherche des films qui ont une histoire.
En même temps, l’action doit être soutenue. C’est de plus en
plus difficile à trouver, malheureusement. On produit
maintenant des films avec des budgets de 10 000 $, des films
gonzos qui offrent du bon sexe, mais dont l’histoire est
nulle. Les gens rentrent et sortent de la salle, ils n’ont
parfois qu’une demi-heure à y consacrer, ils veulent que ça se
passe là, maintenant.
Vos
clients ont dû être témoins de plusieurs anecdotes
croustillantes ?
On m’a souvent raconté que des clients croyant vivre une
expérience avec une femme se sont aperçus que c’était plutôt
un homme. Un autre m’a dit qu’il avait vu une femme fontaine
jouir une dizaine de fois à répétition entourée de voyeurs. Il
y a cet homme qui s’enduisait d’huile à un point tel qu’il a
fallu mettre du carton sur le plancher pendant quelque temps,
car le nettoyage n’avait pas suffi. Il y a parfois des
conversations étonnantes de certains en pleine action. En 33
ans, il s’en est déroulé des choses entre nos quatre murs. |
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