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A propos d'Edgar P. Jacobs et de Blake et Mortimer

Page mise à jour le 18/10/2022

La BD comme tout art possède son histoire, et comme dans toutes les histoires de l'art, il y a des interprétations différentes, mais aussi des règles tacites édictant ce qu'on le droit de dire ou de ne pas dire. (le politiquement correct) Ainsi, il est quasiment de règle après avoir dit beaucoup de bien de Tintin, d'égratigner son auteur, eu égard à son passé politique "trouble". Ainsi il est quasiment de règle d'encenser l'œuvre complète de Edgar P. Jacobs, de rendre hommage à son talent et à son intelligence... Pourtant l'œuvre est loin d'être si exemplaire que ce que disent certains.

Globalement l'œuvre de Jacobs (1904-1987) est apparue à une époque où la BD "réaliste" était rare. Jacobs a su au moins le temps de quelques ouvrages, raconter une histoire en image, tenir en haleine le lecteur, faire évoluer les personnages dans des décors très riches. Voilà qui n'est déjà pas si mal !

Même si cela a été rabâché, on ne nous empêchera pas de trouver troublante la situation civile des héros. Certes, le célibat des héros était (indirectement) imposé par les règlements de l'époque relatifs aux ouvrages destinés à la jeunesse... mais Blake et Mortimer semblent habiter ensemble, au moins de façon temporaire, les travaux ménagers et la cuisine étant effectués par un serviteur d'origine hindoue... Les apparitions féminines sont extrêmement rares et complètement asexuées.

La vision du monde de Jacobs est manichéiste, d'un côté les gens utiles (les scientifiques qui ont choisi le bon camp, les militaires, les policiers, et tous ceux qui acceptent et défendent l'ordre établi) de l'autre les ennemis de la société (le bloc soviétique n'est jamais nommé, mais personne n'est dupe) avec ses espions, ses scientifiques qui ont choisis le mauvais camp, ainsi que la pègre, bien sur liée à ces derniers. Le personnage d'Olrik synthétise à peu près tout cela. Il y également en filigrane, la nostalgie très claire de l'ordre colonial et la fascination pour la force physique (Mortimer n'est pas seulement un grand savant, mais il doit être champion du monde de tous les arts martiaux possibles et imaginables...)

Prenons maintenant ses BD dans l'ordre :

Le secret de l'Espadon (1946-1953) : Ça a vraiment pris un sacré coup de vieux, passons !

Le mystère de la grande Pyramide (1950-1955) : Tout y est, sens du récit, rebondissement, décors grandioses, une vraie BD qui nous prend en haleine du début jusqu'à la fin et qui donne envie de la relire, un peu tiré à la ligne malgré tout.

La marque Jaune  (1953-1956) : Encore plus fort ! Le thème du savant fou, et celui du dédoublement de personnalité sont traités avec brio, à tel point qu'on ne remarque qu'à la 2ème ou 3ème lecture que Septimus a été doté volontairement d'une sale gueule qui en fait un coupable idéal.

L'énigme de l'Atlantide (1955-1957) : Encore un quasi chef d'œuvre, (deux ou trois bêtises quand même) tout cela est très (trop) manichéiste, mais ça fonctionne à merveille et dans quels décors !

SOS Météores (1958-1959) : Sans doute le meilleur de la série, une atmosphère étrange, un travail de décors minutieusement documenté, (l'action se passe dans les bois de la banlieue versaillaise). A lire, à relire, à savourer ! Un bijou !

les quatre derniers albums précédents sont les 4 très grandes réussites de EP Jacobs. Suivront 3 ouvrages dans lesquels l'auteur ne cessera de s'enfoncer :

Le Piège diabolique (1960-1962) : Il y a débat car pour certains ce serait un chef d'œuvre (le dernier) de Jacobs. Certes, les vignettes sont jolies (On en a même fait un jeu vidéo) : Mais regardons de près : l'intrigue d'abord : Jacobs ne s'est pas trop cassé la tête, Mortimer qui est un garçon intelligent accepte sans réfléchir une seconde et sans prendre aucune précaution d'expérimenter une mystérieuse machine. Cette dernière va le balader dans le temps (l'intelligence de Jacob, aviez-vous dit ?) Au cours de ces pérégrinations il va se retrouver au moyen âge, en pleine jacquerie, les paysans y sont représentés comme des brutes sanguinaires et débiles, contrastant avec la majesté des pauvres féodaux assiégés, bien sûr Mortimer prendra le parti de ces derniers et leur donnera un coup de main (l'intelligence de Jacob, aviez-vous dit ?) Une fois dans le futur, Mortimer va découvrir des inscriptions dans un français complètement réformé orthographiquement et va en conclure que ceux qui écrivent de cette façon sont forcément en état de décadence (l'intelligence de Jacob, aviez-vous dit ?)... Bref un ouvrage au scénario indigent qui trimbale une l'idéologie carrément pourrie ! A fuir !

L'affaire du collier (1965-1967) : Histoire policière sans grand intérêt et bourrée de poncifs, que même les aficionados les plus fanatiques de Jacobs reconnaissent comme étant le plus mauvais de la série, passons.

Les trois formules du professeur Sato  : (1977 et 1990) le tome 1 (Mortimer à Tokyo) était très attendu, les prépublications, dossiers de presses et interview étaient très prometteurs. Et à sa sortie quel flop ! Rien, sinon du bavardage et une profusion de notes de bas de pages, mais bon, on ne juge pas un demi livre, il allait se rattraper au tome 2...  Lequel tome 2 a dû attendre 13 ans, Mortimer contre Mortimer (1990) et entre temps Jacob décédait (1987). Ruée sur ce tome 2, terminé par Bob de Moor, et immense déception, c'est ennuyeux et ça ne ressemble à rien. Mais ce dernier n'était en rien dans ce naufrage, prisonnier qu'il était des crayonnés de Jacobs. Après la lecture (non terminée) du tome 2 nous avons fait comme beaucoup d'autres, au lieu de le ranger dans la bibliothèque, il est allé directement dans le carton pour la prochaine brocante, et on en a profité pour y mettre aussi le tome 1.

L'affaire Francis Blake (1996) : C'est dire que nous attendions avec appréhension la version de Van Hamme et Ted Benoît  ! Et d'abord quelle idée d'aller ressusciter cette série alors qu'il y a tant d'histoires à raconter (mais on sait que commercialement une série fonctionnant avec des personnages connus marchera mieux qu'avec des nouveaux héros). On a donc eu droit à du Blake et Mortimer sans Jacobs, et finalement je trouve que cet album n'est pas mal du tout... Les personnages sont humanisés, l'intrigue est un peu (beaucoup) tirée par les cheveux, mais ça passe ! Un bon présage pour la suite, pensions nous... On a vite déchanté...

La Machination Voronov  (2000)   Benoît et Van Hamme n'avançant pas, Dargaud confie à un second duo (Yves Sente et André Juillard) un nouvel album. Bon ça se lit, et ça s'oublie vite, car exit l'humanisation des personnages... Et puis cette pseudo morale présentant les agents secrets britanniques comme des gens d'une droiture exemplaire, ça fait quand même tordre de rire.

L'Etrange Rendez-vous (2001) : Van Hamme et Ted Benoît  livre enfin leur deuxième album  ! Ce n'était vraiment pas la peine de nous faire attendre si longtemps, c'est une catastrophe ! Le choix du thème (le voyage dans le temps) est déjà casse gueule, mais le scénario ici est sans doute (n'ayons pas peur des mots) l'un des plus stupides du genre ! Écoutez bien : Vers l'an 8000 des individus ont l'idée, afin d'assouvir leur soif de conquête et de pouvoir, de venir chercher des méchants au 20ème siècle ! On lit quand même un peu, tout est téléphoné, sans surprise, on s'y ennuie ferme, on laisse tomber et on referme le bouquin en se disant que décidément on finira cette plaisanterie plus tard... En fait jamais... La critique a été très discrète genre : "Le contenu devrait plaire aux amateurs de science-fiction." Ben, non même pas...  Encore un volume qui finira en brocante...

Les sarcophages du 6ème continent (2003 et 2004) : Deuxième et troisième album de Sente et Juillard : Très jolie couverture du tome 1 ! Et cette fois prudence, on feuillette chez le libraire avant d'acheter... Trois minutes après on le repose sur la pile... Il y a tellement mieux à acheter où à lire...  Quand au second tome... je ne l'ai même pas feuilleté...

Le Sanctuaire du Gondwana (2008) : On prend les mêmes (Sente et Juillard  et on recommence, une sorte de nouvel épisode du précédent qui se déroule en Afrique : La critique n'est guère tendre (scénario sans surprise, longueurs, invraisemblances, clichés, épilogue stupide...). Trois semaines après sa sortie, les bouquinistes des bords de Seine refusent de le racheter... ils en ont de trop !

La Malédiction des trente deniers (2009 et 2010) (Van Hamme - René Sterne(1) puis  Chantal De Spiegeleer pour le 1 - Van Hamme et Antoine Aubin pour le 2)  Le dessin est bien, c'est déjà ça ! Pour le scénario, Van Hamme s'inspire des évangiles et doit être l'un des derniers aujourd'hui à les lire au premier degré ! Pour les détails c'est un défilé de poncifs (la poursuite en bagnole avec les fruits renversés, on nous l'a servi combien de fois déjà ?) ou de bêtises (ben non on ne s'évade pas d'un pénitencier de cette façon là, et il y avait 1000 façons plus subtiles de faire reprendre du service à Olrik). Et voici les nazis qui arrivent, il ne manquait plus qu'eux. Van Hamme s'est sans doute (inconsciemment) inspiré des aventuriers de l'Arche Perdu ! Il faudrait peut-être lui expliquer qu'il n'est pas Spielberg. Quant à la  publicité (non clandestine car il s'agit d'un partenariat) pour les motos "Royal Enfield Bullet". Il va sans dire que je trouve ça limite déplacé. Et puis la couverture ... non mais franchement ? On espérait beaucoup du second tome, il est pire que le premier, le dessin n'est pas bon, le scénario est convenu et sans aucun intérêt.

Le serment des 5 lords (2012)  (Sente et Juillard) : Ça commence plutôt bien, des vols mystérieux, des crimes inexpliqués, une ambiance de mystère. Pourvu que ça dure ! Et bien, non, ça ne dure pas.  Les idioties et les invraisemblances ne tardent pas à arriver : Mortimer qui est bien évidemment plus malin que la police, laquelle police se dessaisit pratiquement de l'affaire au profit de Blake sans en référer à qui que ce soit.... Ensuite les vols et les meurtres continuent, Blake et Mortimer enquêtent chacun de leur coté, on a droit alors à toute une série fausses pistes dignes des plus mauvais polars (la cigarette oubliée, la lettre de menace sur du papier à en-tête). Ça commence à devenir très compliqué et voilà qu'on nous impose un long et inintéressant flash back raconté par Blake. On ne sait plus où on en est ! Arrive enfin le dénouement. On sait qui c'est l'assassin, mais à ce stade on s'en fout complètement, d'autant que son mobile n'est pas clair du tout (il ne l'est même pas pour le scénariste, alors vous pensez !).
Sinon le graphisme est correct mais sans plus(2), pas de décors somptueux (on est loin de la Marque jaune ou de SOS météores), pas d'Olrik (tant mieux), une légère critique de l'impérialisme britannique et de ses services secrets (mieux vaux tard que jamais) et un personnage féminin qui a oublié sa poitrine à la cantine. (comme dans les comics de 1950). Certes on a connu pire, n'empêche que c'est très mauvais.

L'Onde Septimus (2013) Jean Dufaux et Antoine Aubin : : Depuis le temps qu'on l'attendait ! Voici sans doute le meilleur Mortimer post Jacob. Suite de la Marque Jaune ? 57 ans ont passé depuis la publication de la BD de Jacob, entre temps, les mentalités ont changé, le lectorat a changé et le monde a changé. C'est donc une suite en forme de variation. Mortimer est débarrassé de ses tics (les damned et les by Jove) et de son caractère bagarreur, on le voit jouer avec le feu comme un vulgaire savant fou, on le voit aussi se faire manipuler comme un bleu par une jolie blonde. Et oui, il y a deux femmes dans l'histoire et ce sont deux belles méchantes. Sinon j'avoue ne pas bien avoir compris ces histoires d'ondes liés à un machin extraterrestre planqué sous une cave, mais les dessins qui nous illustrent tout ça sont très réussis et très surprenants.

Le bâton de Plutarque (2015) (Sente et Juillard)   : Préquelle du poussiéreux "Secret de l'Espadon", c'est très bavard, très statique, très peu intéressant, les amateurs de jolis décors n'y trouveront même pas leur compte et la couverture est moche. J'ai quand même éclaté de rire en apprenant sur la première planche que je ne sais pas qui était convoqué chez "Le ministère of the War". Et puis surtout question fondamentale, qu'est ce que cette BD, lancée comme une marque de savonnette a de plus q'un tas d'autres BD parues cette année et qui se traînent lamentablement alors qu'il sont bourrées de talents ?

Le Testament de William S.(2016) (Sente et Juillard) : Quand on ne sait plus quoi inventer on écrit une histoire d'énigme à tiroirs qu'il faut résoudre avant que les méchants ne le fassent. Déjà ça montre le niveau, mais avec un peu de talent, ça aurait pu marcher. Le problème c'est que le talent n'y est pas, l'histoire est inintéressante au sens propre du terme, c'est à dire qu'à aucun moment elle ne suscite l'intérêt et le dessin est d'un statisme desespérant.  Alors, à quoi bon se forcer à lire une BD qui ne nous intéresse pas et qui ne ne suscite aucune plaisir ?

Critique globale de la série :
Nous l'avons vu : Jacob aura marqué de sa plume l'histoire de la bande dessinée en signant quatre albums de très haut niveau. (
Le mystère de la grande Pyramide, La marque Jaune, L'énigme de l'Atlantide, SOS Météores). Après l'inspiration l'a quitté, ni les errements réactionnaires et stupides du Piège Maléfique, ni le mauvais polar qu'est L'affaire du collier, ni les japonaiseries grotesques de Sato ne mérite l'attention. Quant à ceux à qui ont a confié la tâche de faire revivre les aventures de Blake et Mortimer, les quelques espoirs qu'ont pu nourrir l'Affaire Francis Blake se sont très vite envolés. La réussisse de l'Onde Septimus aura-t-elle un lendemain ?

En marge : décodages


Chez Jacob, la femme n'est même pas décorative, elle est anecdotique. Ici l'étrange Mistress Benson, qui n'est pas la servante de Mortimer, mais sa logeuse. Une logeuse bien attentionné puisqu'elle le chouchoute en lui apportant son breakfeast. En fait Mortimer a besoin d'une "maman"... (
la Marque Jaune)


Jacob n'a rien d'un progressiste, son camp est celui de l'ordre établi (il le dévoilera de façon très claire dans le piège diabolique). Ici dans la Marque Jaune on voit Septimus en train de bouquiner. Septimus est le méchant de l'épisode, mais à ce stade, on le sait pas encore, Jacob lance donc des pistes afin que le lecteur commence àavoir des doutes. Regardez bien ce que lit Septimus, une revue légère avec une femme montrant ses cuisses (on ne verra jamais ni Mortimer ni Blake avec de telles lectures !) Dans l'esprit de Jacob la lecture de ces revues s'associent donc à la malfaisance... Navrant !

Parodies

Les Aventures de Philip et Francis - Tome 1 - Menaces sur l'empire (2005)  

 (Scénario Pierre Veys, dessins Nicolas Barral) : On passe un bon moment, c'est irrévérencieux à souhait. Il manque un petit quelque chose qui aurait rendue cette parodie géniale, comme si les auteurs avaient été empêchés d'aller trop loin, et c'est bien dommage.

Les Aventures de Philip et Francis - Tome 2 - Le piège machiavélique (2011)  

 (Scénario Pierre Veys, dessins Nicolas Barral) : Beaucoup plus élaboré que le tome 1 et beaucoup plus féroce, on a droit à une descente en règle et sans concession du début du piège maléfique. Ça se lit très bien, c'est plein d'humour et de décontraction, c'est subversif au possible... Deux ou trois faiblesses, mais dans l'ensemble une belle réussite et il n'y a vraiment pas photos avec les derniers avatars des prétendues vraies aventures de Blake et Mortimer (genre la poussive malédiction des 30 deniers). Courrez l'acheter !

Les Aventures de Philip et Francis - Tome 3 - SOS Météo (2014)  

(Scénario Pierre Veys, dessins Nicolas Barral). C'est de mieux en mieux, l'album arrive a surpasser encore le tome 2 qui était déjà génial. L'exercice se dit être un hommage, affirmation sans aucun doute obligé car ce sont vraiment tous les travers et les tics de la vraie série Blake et Mortimer qui sont passés à la moulinette et ce n'est pas triste. A acheter d'urgence

Royal Gentleman Club suivi de Rocking Girls

Une BD de Nicky compilé en 2000. By Jove; le professeur Mortimer (au début), Blake (page 130), Septimus (page 100) et quelques autres en train de faire des cochoncetés ! Le trait est fin, les personnages féminins sont bien dessinés, c'est assez agréable surtout au début si on apprécie de genre de choses, puis on s'aperçoit vite que comme beaucoup de dessinateurs de BD érotiques, c'est un peu toujours la même chose, tout cela devient vite une série de variations sur des situations analogues, domination, bisexualité féminine et fétichisme, A force c'est lassant mais au hasard des pages de Rocking girls on trouvera quand même quelques extraterrestres et même un robot domestique transsexuel.

Etoiles très suggestives :
excellent
Très bon
assez bon
bof...
mauvais
nul

On pourra consulter sur cette page quelques pastiches rigolos


Notes :
(1
) le dessinateur René Sterne est décédé en 2006 sans avoir terminé l'album, c'est sa compagne Chantal de Spiegeleer qui le terminera.
(2) Il est amusant de voir sur les forums spécialisés, les fans s'étriper sur le plus ou moins bon respect de la taille de la barbe de Mortimer, comme si la question était là ?