La malle aux trésors
de Monsieur le sénateur (récit)
Page mise à jour le
13/12/2013
Paradoxe ! Voici un récit qui n’a
rien, mais alors rien du tout d’érotique, par contre vous découvrirez qu’il n’a
rien d’innocent et que ce n’est pas le genre de texte à publier dans un recueil
scolaire !
A ce titre il a été également publié sur le site de
http://Vassilia.net .
Cette anecdote déjà publié sur Revebebe en 2002 où elle avait reçu un accueil
mitigé est absolument authentique, seuls les prénoms et noms ont (bien
évidemment) été changés..
Philippe Brossard est
sénateur, sénateur centriste parce que dans les années 70 personne ne se
proclamait alors de « droite ». Il a beau être sénateur personne ne le connaît,
les habituées des activités parlementaires savent simplement qu’il fut l’un des
signataires de l’amendement Schuman de 1973 (je ne certifie pas la date) qui
finira par tuer le cinéma X. Ce dernier à pris heureusement sa revanche car si
les ébats sur pellicules continuent d’être stupidement taxés, cette loi se
révéla absolument inapplicable au marché de la vidéo-casette, puis du DVD.
Philippe Brossard, parcourt la France, il n’est jamais le dernier à se porter
volontaire en cas de mission parlementaire de toute sorte, et puis il y a les
activités de son parti dont il se veut cacique. Il est donc souvent de corvée de
réunion, mais les banquets et les buffets le récompensent bien de son dévouement
à la chose publique.
Mais comme je vous le dis Philippe Brossard n’atteindra jamais la notoriété, et
d’ailleurs on s’en fout c’est pas le sujet.
Philippe Brossard, ne sait jamais marié, on ne lui connaît aucune maîtresse, on
n’a jamais non plus rapporté sur lui aucune frasque homosexuelle ou frasque tout
court d’ailleurs. Philippe Brossard à apparemment une sexualité de moine
contemplatif.
Comme beaucoup de personne sans enfant, Brossard s’est porté d’affection pour
son neveu Jean-Luc, mais celui-ci ne voulant rien avoir de commun avec les
opinions de son réactionnaire de tonton l’envoya bouler. Brossard qui n’avait
pas d’autre famille proche depuis la mort de son frère en pris son parti
A quarante ans, Jean-Luc fit repentance, se souvint qu’il avait un oncle, adhéra
à sa formation politique et s’essaya en vain aux suffrages de ses concitoyens,
mais le rapprochement s’était opéré. Grâce à quelques appuis, Brossard propulsa
le neveu à la tête d’une affaire qui eu pas mal de chance, ce n’était pas les
Emirats Arabes Unis, mais Jean-Luc put quand même s’acheter un château (un
petit, pas un gros)
Dix ans plus tard, les choses évoluèrent encore :
Jean-Luc était devenu député, ses affaires par contre n’allaient plus très fort
et il se demandait s’il pourrait garder le château
Philippe lui devenait vieux, sortait de moins en moins et sa santé chancelait.
Les deux hommes passèrent alors un accord dont certains termes firent l’objet
d’un acte notarié :
Philippe reprenait toute l’aile sud du Château pour lui et s’engageait à en
restaurer l’ensemble, il y habiterait bien sûr.
En contrepartie, Jean-Luc s’engageait à veiller sur le tonton
Le jour de l’emménagement, un camion plus petit suivit l’énorme véhicule
contenant le mobilier et les affaires personnelles du sénateur. Lorsque vint le
moment de le décharger, les ouvriers s’enquirent évidemment de savoir où déposer
le contenu de ce second camion
- Dans le grenier ! Répondit notre sénateur se rendant compte à ce moment là que
dans son repérage des lieux il avait tout simplement oublié celui-ci !
Mais horreur et damnation, tous les greniers de l’aile étaient pleins à craquer,
occupés qu’ils étaient par des meubles divers en état médiocre que les anciens
occupants avaient donc laissés et que personne n’avait l’idée de débarrasser.
Notre sénateur piqua une crise.
- Mais enfin ! Protesta Jean-Luc. Vous avez assez de pièces dans cette aile, il
suffit de mettre tout ce fourbi dans l’une d’entre elles
- Non, je veux un grenier !
- Mais pourquoi diable un grenier ?
- Parce que je veux un grenier !
Et oui, quand quelqu’un refuse la discussion, on ne peut pas discuter, dirait La
Palisse
- Alors déposons-les dans une pièce de façon provisoire et on vous fera
débarrasser un des greniers le plus tôt possible !
Mais notre sénateur était trop trempé dans la politique et ses formules
prometteuses pour ne pas ignorer que « le plus tôt possible » pouvait très bien
signifier « si un jour on y pense », et il se lança dans une tirade où il
signifia haut et fort qu’il n’entendait pas se contenter d’une solution mi-figue
mi-raisin.
Il n’entrait pas dans le planning des déménageurs de débarrasser de suite l’un
des greniers de l’aile, c’était donc la crise…
Quand la femme de Jean-Luc se souvint brusquement (et presque à regret) que dans
leur aile à eux, il y avait un grenier bien vide à défaut d’être bien propre….
Peut-être que cette solution conviendrait au vieux sénateur ?
Elle lui convint !
Il n’emménagea pas seul, il fut accompagné d’une infirmière, d’une cuisinière et
d’une femme de ménage. Trois femmes pour lui tout seul, ils les avaient choisi
jeunes et plantureuses… Cela intrigua bien sûr Jean-Luc mais jamais il ne put
constater quoi que ce soit de bizarre voir d’anormal dans les rapports entre ces
dames et son oncle. Jean-Luc essaya même des les draguer, il en fut pour ses
frais !
La vie s’organisa donc. Chacun vivait dans son aile, cela avait été convenu
comme cela. Ils se voyaient de temps en temps, pas plus que ça. Mais il avait
autre chose, et la première fois que Jean-Luc vit l’oncle déambuler de bon matin
dans les couloirs en robe de chambre et charentaises, ni rasé, ni coiffé et
probablement pas lavé non plus, il en fut stupéfait, lui qui avait l’habitude de
voir son sénateur d’oncle toujours tiré à quatre épingles et propre comme un sou
neuf
- Et bien mon oncle, que vous arrive-t-il donc ?
- Mais rien du tout, mon neveu, je me rends dans mon grenier, ne faites pas
attention à moi !
Il resta un certain temps dans le grenier, personne ne savait évidemment ce
qu’il y fabriquait, c’était généralement le matin qu’il s’y rendait mais pas
forcément, et ses séjours y duraient parfois des demi-journées entières.
On le rencontrait ainsi marchant péniblement aidé de sa canne anglaise, il ne
dérangeait personne, tenait malgré tout à préciser au cas ou on en aurait douté
:
- Je vais à mon grenier !
ou alors :
- Je reviens de mon grenier !
Tout dépendait dans quel sens on le rencontrait ! Mais qu’il y aille ou qu’il en
revienne, c’était toujours les mains vides !
Jean-Luc était intrigué par ce manège, il aurait bien été y frapper comme ça, un
jour où le vieux y était, mais il n’osait pas, il n’avait jamais été très
courageux, Jean-Luc. Pourtant il lui brûlait de savoir. Il avait le double des
clés et s’était bien gardé de le dire à son oncle : Une nuit après s’être assuré
que la lumière fut éteinte chez le tonton, il s’en fut dans le grenier : Cela
faisait bientôt un an que le sénateur le visitait plusieurs fois par semaine :
il entra : Des caisses, des cartons, des croûtes, quelques soit disantes
sculptures hideuses, et puis des bouquins, des revues… tout cela était recouvert
de poussières, il inspecta un peu les lectures, mais n’y trouva que du bien
banal. Son regard fut attiré par un tabouret posé en dessous du vasistas, il
s’approcha, constata qu’il était vierge de toute poussière, c’était donc là que
le sénateur venait s’asseoir ! Et devant le tabouret, une espèce de grosse malle
assez ancienne, au-dessus de cette malle un paquet ou plutôt un double paquet de
revues, des Paris-Match et autres littératures de salles d’attentes sans doute
conservés en raison de leur caractère historique, il en découvrit les
couvertures, le premier homme sur la lune, l’assassinat de Kennedy, la mort de
De Gaule, le mariage du prince de Monaco…
Le tonton venait donc ici pour lire tout ça, se remémorer les « grands » moments
de l’histoire contemporaine ! Mais ça ne tenait pas debout ! Pourquoi alors ne
les apportait-il pas dans ses appartements ?
A moins que… A moins que l’objet des visites sénatoriales ne soit non pas les
revues posées sur la malle, mais la malle elle-même ! Mais bien sûr que c’était
ça, il enleva les deux piles de revues, et tenta d’ouvrir la chose. En vain, il
ne voyait même pas comment ce machin pouvait s’ouvrir, après une heure d’effort
il y renonça.
Il revint plusieurs nuits de
suite, sans plus de succès, il eut alors l’idée de se payer le luxe de demander
les services d’un serrurier qui opérerait la nuit, il paya l’homme de l’art une
fortune, mais ce dernier se révéla incapable d’opérer, cette malle restait un
mystère ! Jean-Luc laissa donc tomber mais il enrageait secrètement quand il
apercevait son oncle déambuler dans les couloirs avec son oeil malicieux, l’air
de le narguer !
Et puis un jour le sénateur mourut !
Et c’est là qu’intervient (oh, si peu) ma modeste personne dans l’histoire car
il se trouve que j’étais employé à l’étude du notaire chargé de la succession.
Succession par ailleurs catastrophique. Le sénateur laissait surtout des dettes…
Mais il y avait la malle…
Certes elle revenait de droit à Jean-Luc que son oncle avait rendu légataire
universel, mais il fallait bien payer les frais de succession et pour les payer
encore fallait-il savoir y compris ce que contenait cette malle mystérieuse ?
On en chercha d’éventuelles clés dans les appartements de sénateur, on n’en
trouva pas !
Quelques semaines après le décès de Brossard, je fus donc chargé de m’occuper de
l’ouverture de l’objet !
- Si on ne sait pas faire, on l’ouvrira à la scie circulaire !
Le notaire avait toujours été très romantique
Je trouvais dommage d’abîmer un si bel objet et découvrit sur les pages jaunes
de l’annuaire téléphonique un spécialiste en serrures anciennes, lui envoyait un
polaroïd de l’objet, il nous répondit qu’il connaissait ce genre de système et
qu’il en aurait raison au bout d’un quart d’heure maximum. Je téléphonais à
Jean-Luc qui en jubilait de bonheur. Je n’ai jamais aimé ce mec !
Il fut alors convenu que la malle serait ouverte avec une certaine cérémonie. On
avait donc ce jour là préparé le grenier, il avait été balayé et débarrassé de
ses toiles d’araignée les plus voyantes. Sur un petit guéridon avait été
disposées pardessus une courte nappe blanche, quelques bouteilles de champagne
et les coupes pour le sabler. Nous sommes arrivés vers 16 heures, le notaire, le
serrurier et moi, la famille était au grand complet, c’est à dire Jean-Luc, son
épouse, leurs quatre enfants et leurs époux et épouses respectifs et même
quelques petits enfants, ça commençait à faire du monde.
Nous prîmes place autour de la malle et le serrurier s’apprêta à opérer.
Manifestement l’affaire lui donnait du mal, tant et si bien qu’au bout du quart
d’heure fatidique, rien n’était ouvert, mais comme il ne perdait pas espoir,
alors l’assistance non plus. Je vous laisse imaginer le suspense ! Qu’allais
t’on trouver là dedans ? Ce que le sénateur Brossard venait cajoler presque tous
les jours, mais il venait cajoler quoi ? Des lingots d’or, des pièces, des bons
du trésor, des bijoux anciens, des objets de collections extrêmement rares, des
gravures de maîtres, des manuscrits authentiques, à moins que ce ne soit
quelques secrets d’états glanés pendant sa carrière politique… non cette
dernière hypothèse ne se prêtait guère à la négociation. Bref il ne restait qu’à
attendre… dans quelques minutes tous ces gens sauf moi seraient riches et
sablerait le champagne !
- Ça y est ! Clama enfin le serrurier en un soupir de victoire !
Et zlouf ! Tout le monde se rapproche de vingt centimètres !
Le couvercle se soulève, tout le monde se penche ! Il y a une toile qui empêche
de voir à l’intérieur, et sur la toile une enveloppe.
Le notaire se saisit de l’enveloppe, et la décachète !
- Attendez ! Tente-t-il d’intervenir quand il voit quelqu’un retirer la toile de
tissu, mais il est déjà trop tard, le contenu est dévoilé, tout le monde se
penche !
Désarroi général !
- C’est quoi ce fourbi ?
- Il s’est foutu de nous le vieux !
- Attendez c’est peut-être au fond !
Et tout le monde de sortir de la malle, des objets les plus insolites que les
autres, un chausse-pieds, un journal, un autre chausse-pieds, un paquet de
cigarette entamé, un chausse-pieds, un briquet, un chausse-pieds, sans doute
plus de cent chausse-pieds et des tubes de rouges à lèvres, des peignes, des
brosses, des bibelots à quatre sous ! Personne ne fait attention à ces objets.
On les sort, on les met à côté, et bientôt il faut se rendre à l’évidence la
malle est vide, il n’y avait aucun trésor de caché !
Jean-Luc et son épouse sont blancs comme des linges, la déception est terrible !
Machinalement il ramasse l’un des chausse-pieds, il y découvre une minuscule
étiquette : Corinne 5/82 ! Il ne comprend pas, il en ramasse un autre, chaque
objet est étiqueté d’un prénom féminin et d’une date. Livide il se tourne vers
le notaire !
- La lettre !
- La lettre ? Il n’y a rien d’intéressant !
- Il n’y a rien dedans ?
- Si ! Mais je vous dis…. rien d’intéressant !
- Dites toujours !
- C’est simplement marqué « Merci Mesdames ! »
On n’a pas bu le champagne, on a laissé la famille Brossard descendre de ses
illusions ! Ainsi le sénateur gardait un souvenir de ces amours tarifés et
venait s’en remémorer les meilleurs moments en farfouillant en solitaire dans sa
malle !
Sacré Brossard ! L’histoire est finie mais je peux maintenant que j’ai depuis
longtemps quitté cette étude y ajouter… qu’il y avait aussi une petite pochette
dans la malle que j’avais lâchement chapardée :
Elle contenait diverses choses dans intérêt, mais il y avait aussi une
collection de tickets de cinéma, notre sénateur grand croisé anti-porno
fréquentait assidûment le cinéma érotique du boulevard St Michel celui qui se
situait à quelques centaines de mètre du jardin du Luxembourg siège du Sénat
(1). Et puis il y avait aussi un tout petit carnet, dans lequel Brossard avait
noté quelques réflexions très intimes, ce n’était pas très intéressant à vrai
dire sauf celle-ci en plein milieu :
« Lorsque j’ai voulu m’installer, je me suis achetée deux choses, un martinet et
un chausse-pieds » Sophie 1975 »… ainsi quand il ne pouvait voler un objet, il
volait alors des mots…
Estonius 5/2002
(1) Le cinéma dont il est question était Le Latin, 34, boulevard Saint-Michel., Paris 6ème, Ouvert en 1938, porno de 1972 à sa fermeture en 1994. Possibilité de voir deux films avec le même ticket. Fréquentés par quelques sénateurs venu du Luxembourg tout proche... Repris par Gibert Joseph qui y vend des CD et des DVD.