On a brûlé le Père
Noël...
(...après l'avoir pendu)
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mise à jour le
22/12/2012
Les faits |
.
L'article
de France-Soir du lundi 24 décembre 1951
Le père Noël a été pendu hier après-midi aux
grilles de la cathédrale de Dijon... et brûlé publiquement sur le
parvis. Cette exécution spectaculaire s'est déroulée en présence de
plusieurs centaines d'enfants des patronages. Elle avait été décidée
avec l'accord du clergé qui avait condamné le père Noël comme usurpateur
et hérétique. Il avait été accusé de paganiser la fête de Noël et de s'y
être installé comme un coucou en prenant une place de plus en plus
grande. On lui reproche surtout de s'être introduit dans toutes les
écoles publiques d'où la crèche est scrupuleusement bannie. Dimanche à
trois heures de l'après-midi, le malheureux bonhomme à barbe blanche a
payé comme beaucoup d'innocents d'une faute dont s'étaient rendus
coupables ceux qui applaudiront à son exécution. Le feu a embrasé sa
barbe et il s'est évanoui dans la fumée.
À l’issue de l’exécution, un communiqué a été publié dont voici
l’essentiel :
"Représentant tous les foyers chrétiens de la
paroisse désireux de lutter contre le mensonge, 250 enfants, groupés
devant la porte principale de la cathédrale de Dijon, ont brûlé le Père
Noël. Il ne s’agissait pas d’une attraction, mais d’un geste symbolique.
Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne
peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune
façon une méthode d’éducation. Que d’autres disent et écrivent ce qu’ils
veulent et fassent du Père Noël le contrepoids du Père Fouettard.
Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire
de la naissance du Sauveur."
L’exécution du Père Noël sur le parvis de la cathédrale a été diversement appréciée par la population et a provoqué de vifs commentaires même chez les catholiques. D’ailleurs, cette manifestation intempestive risque d’avoir des suites imprévues par ses organisateurs.
Le communiqué du Cardinal Jules Saliége, archevêque de Toulouse
(1)
« Ne parlez pas du Père Noël pour la bonne raison qu'il n'a jamais existé. Ne parlez pas du Père Noël, car le Père Noël est une invention dont se servent les habiles pour enlever tout caractère religieux à la fête de Noël. Mettez les cadeaux dans les souliers de vos enfants , mais ne leur dites pas ce mensonge que le Petit Jésus descend dans les cheminées pour les apporter. Ce n'est pas vrai. Ce qu'il faut faire, c'est donner de la joie autour de vous, car le Sauveur est né. »
Le communiqué du porte-parole de
l'épiscopat français, (France-Soir, 24/12/1951)
Le Père
Noël et le sapin se sont introduits dans les écoles publiques alors
qu'ils sont la réminiscence de cérémonies païennes liées au culte de la
Nature qui n'ont rien de chrétiennes alors qu'au nom d'une laïcité
outrancière la crèche est scrupuleusement bannie des mêmes écoles.
Gilbert Cesbron
(2)
approuve (Carrefour, 26/12/1951)
« Allons ! il faut choisir entre la neige et l'ouate. Vous qui, une
fois, une seule fois, avez compris le prodige de Noël, respiré cet air
le plus pur de l'année, mangé cette nuit-là le pain couleur de neige,
désirez-vous vraiment que vos enfants confondent le Christ avec le
bonhomme à la hotte ? S'ils pleurent un instant en apprenant que le Père
Noël n'existe pas et si vous ne savez pas les consoler pour leur vie
entière en leur apprenant que le Christ, lui, existe - c'est mauvais
signe !
Et ces
larmes, que les jouets consoleront si vite, pèsent moins lourd que
celles que versera, dix ans plus tard, l'enfant solitaire et romanesque
qui s'apercevra que vous avez menti et rejettera tout ensemble le Père
Noël et le Christ, vos vérités avec vos mensonges.
Des
jouets ? oh oui ! en signe de joie, en débordement de joie... Mais que
la crèche passe avant la cheminée !
Ne
confondons pas le Christ avec le Père Noël, ni la Cène avec le
réveillon. La parole-clé de Noël, ce n'est pas « On ouvre et porte à
domicile » mais « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! »
Mon seul remord, en assassinant le Père Noël, est de retirer leur gagne-pain saisonnier aux bonhommes barbus des grands magasins. Eh bien ! qu'ils figurent dans les tableaux vivants qu'aucune vitrine ne songe à nous offrir ! Il vaut mieux incarner une humble vérité que le mensonge le plus célèbre. »
René Barjavel
(3)
proteste (Carrefour, 26/12/1951)
« Il fut
un temps où la terre était peuplée d'intercesseurs entre les hommes et
Dieu. Parce que les hommes étaient alors pareils à des enfants. Les
enfants savent que tout est possible et que tout est merveilleux ; que
le caillou vole, que les animaux parlent, que la cheminée crasseuse et
étroite est un chemin vers les étoiles, que le téléphone du grand
magasin aboutit au ciel, et que là-haut quelqu'un les connaît chacun,
personnellement, et s'occupe d'eux. Les hommes étaient pareils à des
enfants et s'adressaient à Dieu à travers la source ou l'arbre,
chargeaient de leurs messages vers lui les saints et les saintes, qui
étaient comme eux de petites gens du peuple mais qui avaient un
téléphone branché directement de leur cœur jusqu'à l'oreille de Dieu. Et
il y avait aussi Merlin, que Dieu avait repris au diable pour en faire
son messager. Et bien d'autres, que l'on pouvait rencontrer comme on
voulait, à tous les coins de la nature, à tous les désirs de son cœur.
Car les hommes savaient alors que l'univers était un grand assemblage de
miracles et de merveilles, et qu'il suffit de toucher du doigt une épine
ou une goutte d'eau pour rencontrer Dieu.
Mais ils
se mirent un jour en tête qu'ils étaient intelligents, et qu'ils
savaient peser le bien et le mal. Ils crurent à la raion et à la
justice. Ils tuèrent à la fois leurs rois et leurs magiciens, et
devinrent très malheureux. Car croire à la justice, c'est seulement se
croire victime perpétuelle de l'injustice, et croire à la raison, c'est
se croire capable de construire logiquement la justice. Alors il faut
toujours détruire, toujours tuer, pour lui faire place.
Comment
le Père Noël a-t-il résisté si longtemps à ce massacre ? C'est qu'il est
miraculeusement défendu par les tout petits enfants, ceux qui ne
s'étonnent pas de la télévision, mais savent parfaitement que ce vieux
couvercle de boîte à cirage est un grand navire qui transporte mille
passagers, et qu'il est si simple de passer à travers le mur et aussi
que tout le monde est roi, et que le dessous de la table est un palais.
Et c'est vrai, et ce sont les enfants qui voient clair. Dans ce monde
que les hommes s'appliquent chaque jour à faire plus triste, plus
raisonnable, plus sanglant, dans ce monde où même les souvenirs sont
affreux, il reste une petite lumière, c'est celle des bougies du sapin
brillant sur la barbe de coton du Père Noël. Elle éclaire toute notre
enfance. Elle est la lumière de la joie. Sans ombre. Sans clarté. Sans
« raison ». Les millions d'enfants qui regardent cette lumière sont les
seuls êtres humains parfaitement heureux, parce qu'ils reçoivent le don
sans raison qui est la seule forme acceptable de la charité, le don
gratuit, non mérité. Parce qu'ils peuvent prendre à pleines mains la
barbe de l'impossible, parce que le père Noël est la preuve vivante de
l'incroyable.
Tant
qu'un enfant croit au père Noël, son âme est pure, il peut voir Dieu.
L'univers non raisonnable, c'est-à-dire sans limites, est encore son
domaine familier. Le jour où il cesse d'y croire, le voilà désormais
enfermé dans l'horrible coquille du raisonnable, coquille qu'il devra
briser en saignant pour retrouver Dieu.
« Dieu,
nous dit l'Eglise, a donné son fils aux hommes afin qu'ils soient
sauvés ». Allez expliquer cela à un enfant de trois ans, si vous-même
vous le comprenez bien...
Mais ce
jour-là, à cet enfant de trois ans, le père Noël, sans raison,
simplement parce que c'est Noël, apporte justement ce dont il rêvait, ce
jouet, cette orange, ces lumières, ce suave chocolat et même de menues
merveilles qu'il n'avait pas désirées.
Venu le
jour où il ne croira plus au père Noël, il ne risquera pas de le
confondre avec Dieu, car Dieu n'est pas un distributeur de cadeaux. Il
ne peut rien donner puisqu'il a donné tout : l'hiver et le printemps, la
faim et le blé, le tigre et la colombe. Le chemin qui conduit à Dieu
n'est pas celui où l'on reçoit des papillotes. Il commence là où tombe
la barbe du père Noël. Il ne s'agit plus de recevoir mais de donner.
Mais laissons à l'enfance émerveillée son vieux magicien barbu. Il a sa place limitée, naturelle et bienfaisante, dans le temps de notre vie. Que les psychiatres, qui sont de tristes ânes, que les politiciens, qui sont des malfaiteurs bornés, que les savants, qui sont les plus bêtes de tous, s'attaquent au père Noël, tout cela est bien normal, et montre leur sérieux. Mais que les Églises s'en mêlent, c'est plus triste. Craignent-elles la « concurrence » ? Ce serait cocasse. N'est-ce pas qu'elles ont quelque tendance à faire de Dieu lui-même une sorte de père barbu assis sur un nuage et doublé d'un adjudant de gendarmerie ? Il y aurait trop à dire. Restons-en au père Noël. Qu'on l'attaque, il n'est pas près de mourir ! Et s'il tient beaucoup de place dans le cœur de nos enfants, ne nous en plaignons pas, car il est un des visages de l'amour. »
Jean Cocteau envoie promener François Mauriac (France-Soir, 30/12/1951)
« Je t'accuse d'inciter la condamnation du Père Noël à être brûlé en
place publique. Brûler le Père Noël revient à brûler les enfants comme
hérétiques s'ils y croient et s'ils n'y croient pas, à brûler leurs
rêves. »
Claude Lévi-Strauss
(4)
s'en mêle (Les Temps modernes,
n°77, mars 1952)
Le
Père Noël supplicié
« Le ton de la plupart des articles est celui d'une sensiblerie pleine
de tact : il est si joli de croire au Père Noël, cela ne fait de mal à
personne, les enfants en tirent de grandes satisfactions et font
provision de délicieux souvenirs pour l'âge mûr, etc. En fait, on fuit
la question au lieu d'y répondre, car il ne s'agit pas de justifier les
raisons pour lesquelles le Père Noël plaît aux enfants, mais bien celles
qui ont poussé les adultes à l'inventer.
Il est
révélateur que les pays latins et catholiques, jusqu'au siècle dernier,
aient mis l'accent sur la Saint Nicolas, c'est-à-dire sur la forme la
plus mesurée de la relation, tandis que les pays anglo-saxons la
dédoublent volontiers en ses deux formes extrêmes et antithétiques de
Halloween où les enfants jouent les morts pour se faire exacteurs des
adultes, et de Christmas où les adultes comblent les enfants pour
exalter leur vitalité.
L'Église
n'a certainement pas tort quand elle dénonce, dans la croyance au Père
Noël, le bastion le plus solide, et l'un des foyers les plus actifs du
paganisme chez l'homme moderne. Reste à savoir si l'homme moderne ne
peut pas défendre lui aussi ses droits d'être païen.
Grâce à
l'autodafé de Dijon, voici donc le héros reconstitué avec tous ses
caractères, et ce n'est pas le moindre paradoxe de cette singulière
affaire qu'en voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques
dijonnais n'aient fait que restaurer dans sa plénitude, après une
éclipse de quelques millénaires, une figure rituelle dont ils se sont
ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la
pérennité. »
Le texte complet
est disponible ici
En 2010, ça recommence
A l'occasion des fêtes de Noël 2010, trois "jeunes" catholiques
traditionalistes de la Fraternité Saint Pie X (en clair trois fachos
d'obédience ultra catholique) ont brûlé un père Noel et pondu une vidéo
assez consternante sur Internet pour "expliquer leur geste" (en fait
pour vendre leur propagande)...
C'est là.
Additif (hors sujet)
Ça c'est Un Père Noël géant de 14 m de haut qui brûle en 2009 à Santa
Catarina au Brésil, mais on ne sait pas pourquoi ! (probablement un
court circuit)
(1) Le Cardinal Jules Saliège
(1870-1956) était pourtant loin d'être de ce qui se fit de pire parmi la
hiérarchie catholique française. Alors que nombre d'ecclésiastiques ont
honteusement collaborer avec l'ennemi pendant l'occupation Saliège eut
une attitude courageuse, condamnant l'antisémitisme. A deux doigts
d'être arrêté par la Gestapo, il fut nommé compagnon de la libération
par le Général de Gaulle.
(2) Gilbert Cesbron (1913-1979) fut un écrivain catholique très à la
mode dans les années de l'après guerre, auteur d'aphorismes aussi
profonds que "le Christ ne se démontre pas, il se rayonne", il est
aujourd'hui plutôt oublié.
(3) René Barjavel (1911-1985) est
considéré à juste titre comme le père fondateur de la Science fiction
française. Assez inclassable dans ses prises de positions, force est de
constater qu'il en eut de fort sympathiques
(4) Claude Lévi-Strauss (1908-2009) est l'un des plus importants
intellectuels français du XXe siècle, il est le fondateur du
structuralisme.
Remerciement au site du Nouvel Observateur qui a exhumé les
articles cités.