Page mise à jour le 07/02/2016

Raz le bol des Ayatollahs de l'Orthographe

Qu'il me soit permis d'exprimer ici de façon pacifique ma stupéfaction devant la façon dont les défenseurs d'une langue française non évolutive s'expriment sur la toile !

Préambule

Je dirais préalablement (en regrettant toutefois que cela ne soit pas considéré d'office comme étant implicite) que chacun est libre de crier sa passion ou de pratiquer un hobby à partir du moment où il n'interfère pas sur la liberté de l'autre. Je respecte donc les "traditionalistes" de la langue française, mais ne me reconnaît pas comme étant des leurs. Et bien sûr je souhaiterais que ces civilités soient réciproques. Or force est de constater qu'elles ne le sont pratiquement jamais !

Objet

Il faut déjà savoir de quoi on parle : une langue ne se résume pas à son orthographe, c'est aussi une grammaire, une ponctuation, une typographie, une prononciation, mais c'est aussi une étymologie, une stylistique... Et avant toute chose, c'est un glossaire obéissant aux lois de la sémantique.

Tout cet ensemble possède ses règles, ses codes, ses lois, certaines de ces règles sont logiques, d'autre le sont moins et d'autres encore pas du tout.

Parler, écrire, c'est communiquer, communiquer au sens large, on ne véhicule pas seulement des messages en s'exprimant, mais aussi des sentiments, des idées, des images... Et pour que la communication fonctionne, il faut qu'elle soit simple et comprise de tous. Simple ne veut pas dire simpliste, simple veut dire débarrassé de tous ce qui n'apporte rien au fonctionnement de la communication.

Or, force est de constater qu'il y a un double problème aujourd'hui avec la langue française :

1)  Son apprentissage en interne est long, difficile, fastidieux et le temps passé à vouloir à tout prix faire des dictées sans faute se fait au détriment des autres matières :

Je fais partie d'une génération où cinq fautes dans une dictée empêchaient d'obtenir un diplôme, même si on excellait dans les autres matières ! Ne dit on pas que si Einstein avait été éduqué dans le système français, il n'aurait jamais eu les moyens de s'exprimer sur la relativité ! Aujourd'hui nous avons besoin de chercheurs, de médecins, faut-il continuer à pénaliser les postulants à ces postes qui ne connaissent pas par cœur la série bijoux, genoux, choux ?

2) En externe, c'est pire ! Un étudiant étranger peut très bien apprendre le français et pourra s'y exprimer correctement après quelques mois de travail, (la prononciation française, privé d'accent tonique possède peu de difficultés de prononciation) mais l'écrire est autre chose, puisque faute de règles logiques on sera trop souvent obligé de faire du par cœur !

Et de grâce, qu'on arrête les comparaisons avec l'anglais ! Contrairement au français, ce n'est pas dans son écriture, relativement simple que se situe sa difficulté, mais dans son incroyable prononciation dont la simple lecture des mots ne renseigne pas ! S'il faut vraiment trouver une comparaison avec une langue cousine, c'est plutôt du côté de l'italien qu'il faut chercher, facile à écrire, facile à parler... Et pourquoi : tout simplement parce que l'italien d'aujourd'hui a été codé très tard (après l'unification du pays !)

L'impossible débat

La première impression que j'ai en lisant les propos de ce j'appellerais faute de mieux les "traditionalistes", c'est qu'ils ne s'expriment pas pour débattre, mais pour s'insurger de l'absence d'orthodoxie de ceux qui proposent autre chose et pour crier au respect des règles en les réaffirmant avec force. Ces gens là ne débattent pas, argumentent à peine, ils sont les gardiens de la tradition, et ceux qui osent, (ne serait-ce qu'à la lisière), émettre des réserves sur les règles et les dogmes de notre langue sont assimilés à des barbares (et je reste polie).

On a donc d'un côté les "tradis" qui semblent ne considérer les messages de leurs contradicteurs que comme des expressions de troublions ne méritant à peine qu'on s'y intéresse... Et de l'autre, justement des contradicteurs qui se contentent de relativiser les choses, d'interpeller les "tradis" sur des cas de figures et auquel ceux-ci ne répondent pas vraiment.

On est souvent, presque systématiquement dans le dialogue de sourds ! Ainsi devant de longs plaidoyers, modérés et argumentés en faveur de réformes elles aussi modérées, j'ai lu de nombreuses fois des traditionalistes répondre que le langage SMS était inadmissible. Comme si la question était là ?

Car les "tradis" lorsqu'ils osent au prix d'un effort considérable rebondir sur les arguments de leur contradicteurs n'ont en guise d'arguments de défense que deux registres : le "c'est beau" et le "c'est comme ça". L'argument d'attaque étant lui plus vicieux, nous en parlerons après.

 "C'est beau" : le subjectif n'a jamais été un argument, ce que certains considèrent comme beau, je peux le trouver laid ou aussi le classer dans ce qui m'indiffère et on peut à partir de ça faire tous les vice-et-versa possibles et imaginables. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, les avancer comme arguments d'autorité n'a que l'intérêt de l'anecdote (et encore) : Et puis considérer sa langue comme belle (c'est-à-dire bien souvent comme la plus belle) n'est-ce pas l'expression d'un nationalisme (voire d'un chauvinisme) qui n'ose dire son nom ?

"C'est comme ça" : Là ce n'est plus de la subjectivité, c'est du réglementarisme, pour ne pas dire du dogmatisme : Comment voulez-vous discuter ? Ces gens là se réfèrent à une tradition qui en fait n'est pas si vieille que ça, lorsque la langue a été "figée" par l'Académie française. (Rappelons que cette institution chargé de fixer l'usage du français a été créée en 1635 par Richelieu, historiquement ce n'est pas si vieux et cela n'a en tout les cas rien de "traditionnel"…)

"C'est une richesse" : le genre d'argument qui ne veut rien dire et qui se voudrait argument d'autorité. Toucher à ce qui est riche c'est l'appauvrir, mais qui à le pouvoir de dire ce qui est riche ou pas...

Si un ignorant en astronomie vous demande pourquoi Venus n'est pas une étoile, vous allez d'abord faire une réponse scientifique, expliquer ce qu'est une étoile, expliquer ce qu'est une planète ! On ira rarement jusqu'à la réponse sémantique, mais après tout pourquoi pas, il faut bien que la langue possède ses signifiants et ses signifiés puisque c'est un glossaire. En revanche si l'ignorant en langue française vous demande pourquoi le mot pharmacie s'écrit avec un ph et non pas avec un f, que vont répondre nos "cappelovingiens' : rien : car la réponse étymologique n'est pas satisfaisante, à la limite on va répondre dans le registre de l'anecdote ou dans celui de la défense de principe d'une prétendue tradition. La réponse, la vraie réponse serait de dire qu'il s'agit là que d'un codage d'autorité... Mais justement si un codage est d'autorité, au nom de quoi resterait-il figé ad aeternam ?

L'argument d'attaque est plus pernicieux ! Il procède de l'amalgame classique consistant à ne pas condamner une proposition pour ce qu'elle est mais pour la dynamique qu'elle est censée entrainer. C'est la théorie erronée dite du "premier pas". Ainsi toute licence en orthographe, est considérée comme un premier pas vers une écriture ultra-simplifiée voire phonétique

Il y a parfois sur les forums de discussion des personnes qui posent des questions par exemple sur l'invraisemblable orthographe du mot invraisemblable ? Sur l'absurdité de ce certaines conjugaisons, sur ces accents qui deviennent aiguës, graves, voire circonflexes suivant la façon dont on conjugue un verbe ? Sur le pourquoi de toutes ces exceptions et des exceptions dans l'exception ! Elles sont où les réponses ?

Certes, certains puisent leurs justifications dans les écrits des experts es genre : ceux-ci sont de deux catégories : les lexicologues nécessaires, Littré, Robert, Larousse et d'autres (ce fameux Larousse qui en 2009 ne renseignera personne sur la définition du mot cyprine) et puis les grammairiens autoproclamés en gardien du dogme, tel Grevisse ! Alors, je le confesse, j'ai mieux à faire que de lire les œuvres complètes de ce personnage, mais les extraits lu sur le Net en illustrations de débats sur le sujet m'ont fait hurler de rire : n'est-ce point lui qui en défenseur acharné de l'accentuation des majuscules (à moins que ce soit des capitales, ce genre de nuances m'indifférant définitivement) justifiait ses propos en expliquant sans rire que la non accentuation des majuscules sur un menu de restaurant risquait de faire confondre l'omelette aux lardons salés avec une omelette aux lardons sales... Et qu'on risquait de confondre le Palais des congrès avec celui des congres ! Qu'on m'explique comment être crédible quand on dégringole à de tels niveaux !

Leurs méthodes :

Le mépris

Bien sûr il ne faut jamais généraliser mais force est de constater qu'on rencontre trop souvent des gens qui n'admettent pas l'erreur en orthographe (parce qu'ils ne se trompent jamais eux sans doute ?). Combien de fois ais-vu des gens sur les forums de discussion souligner en rouge les fautes de l'interlocuteur afin de le rabaisser. Cette mentalité me fait vomir, ça veut dire en creux que pour ces gens là, toute faute d'orthographe dans une contribution la déconsidère, que celui qui en fait n'est qu'un moins que rien, un rustre, un ignare, un barbare…

Pourtant, j'ai bien l'impression qu'il y a sûrement plus de savoir, plus d'humanité, de tolérance et d'intelligence chez des gens qui font quelques fautes que chez les ayatollahs de l'orthographe qui la plupart du temps ne connaissent pas grand chose d'autre. N'a-t-on pas dit longtemps que l'orthographe était d'abord la science des ânes ?

Savez-vous à ce propos que l'Académie française, pourtant gardienne du dogme disait dès l'année de sa création "Les remarques des fautes d'un ouvrage se feront avec modestie et civilité, et la correction en sera soufferte de la mesme sorte" (Statuts : Règlements de l'Académie françoise du 22 février 1635, art. XXXIV)

La suffisance

Un seul exemple suffira : Nous sommes à la fin des années 80. Michel Rocard propose une très prudente réforme de l'orthographe (cette réforme accouchera d'ailleurs d'une souris !) D'inimaginables passions se déchaînent. A l'assemblée, un député (de droite) prend la parole avec emphase !
- Messieurs, l'éléphant s'écrirait avec un F au lieu d'un PH donnerait-il encore la même impression de puissance ?
Signalons à ce cancre qu'en Italie éléphant s'écrit elefante et qu'aucun ahuri là bas n'a demandé qu'on l'écrive avec un PH pour le rendre plus puissant !

L'affaire des majuscules

L'accentuation des majuscules : cela semble être une nouvelle marotte des nos "tradis". Certes, il s'agit de la position de l'Académie française... mais bon...

La machine à écrire (inventée en 1850, mais commercialisée en masse par Remington à partir de 1873) a permis de débarrasser la typographie d'un certain nombre d'archaïsmes, notamment les majuscules accentuées mais aussi les e dans l'o...

La masse considérable de textes dactylographiés depuis l'invention de la machine à écrire, puis celle non moins considérable de textes saisis sur ordinateur jusqu'à la fin du 20ème siècle l'ont été sans majuscules accentuées, et cela sans que cette omission pose des problèmes particuliers. On peut donc en conclure qu'ils ne servent à rien !

Quand on fait quelque chose pendant très longtemps et que tout le monde s'en satisfait, ça s'appelle l'usage. Revenir en arrière un siècle plus tard au seul prétexte qu'on peut le faire n'a aucun sens. Les gens qui s'acharnent à vouloir accentuer les majuscules sont ceux qui traitent le français comme une langue morte. Leur mauvaise foi, la pauvreté des exemples qu'ils citent (le coup des congres ou des lardons sales, - que de toutes façons on peut écrire éventuellement en minuscules à l'attention des ignares - ça commence à bien faire...), le mépris de ceux qui pensent autrement qu'eux en dit long sur leur ouverture d'esprit.

Précisions : L'ancien code typographique - en vigueur jusqu'à l'avènement de la P.A.O. (publication assistée par ordinateur) au début des années 70 précisait que l'on ne devait pas accentuer les majuscules en dessous du corps 12 La technique du plomb créant des chevauchements avec les caractères "jambées" (f, g, j, p, q) et rendant la lecture difficile. Par ailleurs Microsoft Word, le logiciel de traitement de texte le plus utilisé ne propose l'accentuation des majuscules qu'en option.

Le point de vue d'André Gide

Savez-vous que si Maurice Grevisse (1895-1980) est passé à la postérité c'est parce qu'André Gide a écrit (dans le Littéraire) que son ouvrage Le Bon Usage (1936) était la meilleure grammaire ! Il aurait peut-être mieux fait de se taire car les "traditionalistes" ne cessent de clamer ce ralliement ! Mais André Gide (1869-1951; prix Nobel de littérature en 1947)  a aussi dit d'autres choses :

- La "faillite" du subjonctif
"Considérez l'aventure du subjonctif : quand la règle est trop incommode, on passe outre. L'enfant dit : Tu voulais que je vienne, ou : que j'aille, et il a raison. Il sait bien qu'en disant tu voulais que je vinsse, ou, que j'allasse, ainsi que son maître, hier encore lui enseignait, il va se faire rire au nez de ses camarades, ce qui lui paraît beaucoup plus grave que de commettre un solécisme(1)" . Incidences, André Gide NRF, 1924.

- A propos de l'expression par contre considérée comme fautive par les puristes qui prône son remplacement par "en revanche" ou "en compensation"
Gide écrivait : Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : "Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils" ? ou "La moisson n'a pas été mauvaise, mais en compensation toutes les pommes de terre ont pourri" ?... Par contre m'est nécessaire et, me pardonne Littré, je m'y tiens

En guise de conclusion

Alors, voilà ce ne sont que quelques pistes de réflexions devant ce qu'il faut bien appeler un certain agacement devant ces injonctions péremptoires : on doit écrire, on doit dire, on doit prononcer, clamé par les défenseurs autoproclamé d'un dogme qu'ils voudraient immuable... Parce que si on n'obéit pas à ces injonctions, on va nous faire quoi ? Nous mettre au coin, nous mettre une fessée... Ou pire nous envoyer au banc du savoir au fond de la classe à coté du radiateur ?


Notes
(1) Faute de syntaxe


Annexe : Cet article sans prétention m'a valu quelques mails auxquels j'ai parfois répondus quand il n'étaient pas insultants. Sinon, ça part direct à la corbeille. Je n'ai pas répondu non plus à quelques fadas qui considèrent la simplification éventuelle de l'orthographe comme une atteinte aux droits du prolétariat (sic)  ou comme un signe de la décadence de notre société (resic). Je publie quand même ce petit graphisme envoyé par une dame complètement hors sujet mais qui m'a fait bien rire !