Un projet de loi prévoyant de pénaliser les
clients des prostituées a été déposé à l’Assemblée nationale
française. Morgane Merteuil, secrétaire générale du Syndicat
du travail sexuel, s’insurge contre ce texte. Nous
reproduisons ci-dessous son interview par Gaëlle Le Roux
publié sur le site de France 24.
Mardi 6 décembre, l’Assemblée nationale française a voté une
résolution sur la prostitution. Le texte, une simple
déclaration d’intérêt, a obtenu un large consensus chez les
députés de la majorité et de l’opposition, qui ont ensuite
déposé une proposition de loi. Basé sur un rapport rendu
public en avril 2011, la résolution propose de pénaliser la
clientèle des prostituées, sur le modèle d’une loi adoptée en
Suède en 1999.
Aujourd’hui, la prostitution est tolérée en France. Mais le
proxénétisme (le fait d’en tirer des revenus) est prohibé,
tout comme le racolage (le fait de chercher un client), même
s’il demeure passif. Le texte examiné mardi à l’Assemblée
nationale se situe dans la lignée de la position
"abolitionniste" de la France en matière de prostitution : les
prostituées sont, par essence, considérées comme victimes d’un
système. Une conception dénoncée par Morgane Merteuil, la
dynamique secrétaire générale du Syndicat du travail sexuel
(Strass). Entretien :
Que reprochez-vous à la résolution adoptée par l’Assemblée
nationale ?
Morgane Merteuil : Ce texte se base sur un rapport erroné. Le
rapport (présenté par Danielle Bousquet, député socialiste
qui a présidé une mission d’information parlementaire sur la
prostitution en France) fait un amalgame entre prostitution et
exploitation sexuelle. Il affirme que 90 % des prostituées
sont étrangères et victimes de la traite. Mais c’est faux ! La
prostitution de rue ne représente qu’une toute petite partie
de la prostitution aujourd’hui. Et les travailleuses
étrangères ne sont pas toutes victimes de la traite. En
réalité, il existe beaucoup plus d’indépendantes que ce que
veut bien dire le rapport. Si on veut s’en prendre aux
réseaux, il y a d’autres solutions. Ouvrir les frontières par
exemple. Car beaucoup d’étrangères se retrouvent sur le
trottoir pour payer les dettes qu’elles ont contractées auprès
des passeurs qui les ont fait entrer en France.
Par ailleurs, le rapport de Danielle Bousquet se base sur les
témoignages de 200 personnes. Mais seulement une quinzaine de
travailleuses du sexe a été interrogée, dont seulement sept
exerçaient encore ! Tous les autres, ce sont… des experts.
Quelques personnes du Strass ont été auditionnées par Danielle
Bousquet mais tous les propos qui n’allaient pas dans le sens
de ce qu’elle voulait démontrer n’ont pas été retenus. Je
crois que ce rapport n’avait pas pour vocation de donner un
état des lieux objectif de la prostitution en France mais
d’aller dans le sens d’une idée précise de la prostitution,
teintée de moralisme.
Que répondez-vous aux "abolitionnistes", qui affirment que les
travailleuses du sexe sont forcément victimes ?
Morgane Merteuil : Cette idée de système où on est victime de domination
masculine, c’est réducteur et méprisant pour nous et nos
clients. Ils sont bien plus respectueux envers nous que les
féministes abolitionnistes. Pour la plupart, ils viennent
passer un bon moment, ils nous confient des choses qu’ils ne
peuvent pas confier à d’autres personnes, ils viennent faire
des expériences, prendre confiance en eux quand par exemple,
ils n’arrivent pas à rencontrer des filles.… Les
abolitionnistes nous considèrent comme des moins que rien,
jamais nos clients. Enfin si, parfois, certains ne viennent
nous voir que pour "tirer leur coup" mais, au final, les
conditions sont données dès le départ, elles sont franches, on
part sur un contrat honnête. Il vaut mieux ça qu’un mec qui va
attendre dans un bar qu’une fille soit complètement saoule
pour la ramener chez lui…
Vous donnez une image un peu idyllique de votre métier…
Morgane Merteuil : Non, ce n’est pas idyllique. Mais les conditions de
travail seraient meilleures si on nous laissait gérer et qu’on
arrêtait de vouloir nous dicter notre conduite.
Les abolitionnistes n’arrivent pas intégrer l’idée que les
prostituées peuvent être heureuses. Ils nous aliènent, nous
infantilisent, ils n’acceptent pas qu’on puisse choisir en
toute conscience de vivre du sexe. Ils n’acceptent les
prostituées que quand elles sont repenties ou qu’elles vivent
mal leur situation. C’est inquiétant cette tendance à vouloir
normaliser la sexualité.
Les abolitionnistes disent vouloir protéger les femmes
des violences. Qu’en est-il ?
Morgane Merteuil : Toutes les lois qui ont été faites jusqu’à présent,
soit disant pour protéger les femmes, ont été complètement
contre-productives et même très néfastes. La résolution qui a
été adoptée hier (mardi 6 décembre) est dans la même lignée
que toutes celles précédemment adoptées. La loi Sarkozy (loi
promulguée en 2003 interdisant le racolage passif) a éloigné
les travailleuses du sexe des centres-villes. Du coup, elles
s’éloignent aussi des structures de soin, de dépistage et de
prévention. Ces lois ont renforcé la clandestinité de la
prostitution. Cachées, les travailleuses sont plus
susceptibles d’être victimes de violences.
Et comme elles sont moins visibles, elles ont moins de
clients. On constate une précarisation des travailleuses du
sexe. Elles en viennent à brader leurs services, à accepter de
faire des fellations sans préservatifs, etc. Et ça les pousse
à se mettre sous la protection d’un mac. C’est très inquiétant
en termes d’exposition aux violences, aux MST, au VIH en particulier.
D’ailleurs, toutes les associations de lutte contre le sida
s’opposent à la criminalisation de la prostitution pour cette
raison. Pénaliser les clients ne va pas améliorer la
situation, bien au contraire.
Si la solution n’est pas la criminalisation des
prostituées ni des clients, quelle est-elle ? La
réhabilitation des maisons closes ?
Morgane Merteuil : Non, absolument pas. Au Strass, nous ne militons pas
pour ça. Nous nous battons pour que le statut de travailleur
du sexe soit reconnu. Il faut qu’on nous permette de
travailler librement dans les conditions que nous choisissons,
comme tous les autres travailleurs indépendants. Nous
demandons l’abrogation de la loi de "proxénétisme de soutien"
(le fait d’aider, assister, protéger ou partager les revenus
de la prostitution), qui ne distingue pas le proxénétisme de
soutien - celui qui permettrait aux prostitués de s’associer -
du proxénétisme de contrainte (qui impose la prostitution).
C’est une erreur commise par des gens qui ne savent pas de
quoi ils parlent.Il va sans dire que
nous partageons complètement le point de vue de Morgane
Merteuil. |