0144 - Juin 2006 - Pologne
«Cette fois-ci, on a gagné, se réjouit Robert Biedron,
président de la Campagne contre l'homophobie. C'est la
première parade depuis longtemps où il n'y a pas eu
d'agression et où l'ambiance était détendue.» Malgré des
pressions de l'extrême droite pour la faire interdire,
la Parade de l'égalité s'est déroulée samedi à Varsovie
sans incidents, hormis quelques oeufs lancés contre les
manifestants.
Drag-queens. En tête du cortège de plus de 3 000
personnes, pour la première fois, deux drag-queens
venues de Chicago ont défilé dans la rue Marszalkowska,
le long du Palais de la culture, axe traditionnel à
l'époque communiste des défilés ouvriers du 1er Mai. Les
gays polonais craignent encore de choquer en s'habillant
avec extravagance et se contentent des drapeaux
arc-en-ciel du mouvement. «On veut montrer qu'on n'est
pas des criminels ou des déviants, expliquent Maja, 26
ans, et Aneta, 30, en couple depuis bientôt deux ans ;
on ne veut pas être montrées du doigt quand on marche
main dans la main dans la rue.»
Peu avant la parade, une centaine de jeunes militants
chrétiens avaient défilé dans une rue parallèle,
scandant que l'homosexualité était «un péché». Pour
éviter les heurts, un important dispositif de sécurité
avait été déployé : 2 000 policiers, un hélicoptère, des
caméras et des chiens policiers. «Si la marche s'est
tenue dans le calme, estime Biedron, c'est grâce à la
présence de nombreuses personnalités de l'étranger,
surtout d'Allemagne.» Près de 1 millier d'Allemands,
Français, Suédois, Américains et Italiens étaient venus
soutenir les gays polonais. «Le gouvernement ne pouvait
se permettre un scandale sur la scène internationale,
poursuit-il. Des skins polonais attaquant des gays
allemands, ç'aurait été trop.»
En 2004 et 2005, le maire de Varsovie, Lech Kaczynski,
l'actuel président qui ne cache pas ses positions
homophobes, avait interdit les marches. Malgré cela,
plusieurs milliers de manifestants avaient défilé. «Ces
interdictions nous ont en fait profité, souligne Aneta.
C'est grâce à ça que le monde a entendu notre voix.»
Jusqu'au bout, le ministre de l'Education, Roman
Giertych, leader de la Ligue des familles polonaises (LPR,
extrême droite), a tenté d'obtenir l'interdiction :
«C'est une grave erreur de l'actuel maire que de n'avoir
pas eu le courage de s'opposer au mal.» Pour décourager
à l'avance les manifestants, les jeunesses de la LPR ont
annoncé leur propre marche. Mais «quand la ville a
modifié les trajets de sorte que les marches ne se
croisent plus, comme le voulait l'extrême droite,
souligne Biedron, les jeunes n'avaient plus de raisons
de manifester, leur but est toujours la confrontation et
la bagarre.» Officiellement, ils ont annulé en raison de
la Coupe du monde de football.
«Eurosodomie». Les skins qui ont tenté de provoquer des
bagarres, samedi, ont aussitôt été interpellés. La
«guerre» s'est cantonnée au niveau des insultes et des
affiches : «Halte à l'eurosodomie !», «Non à l'UE !» Les
gays ont répondu par des allusions au frère du
Président, Jaroslaw Kaczynski, chef du parti Droit et
Justice (au pouvoir), qui vit toujours avec sa mère.
«Président Kaczynski, ton frère aussi est gay.»
«Nous reviendrons chaque fois que ce sera nécessaire
pour défendre les droits civils», a lancé, à la fin de
la parade, la présidente des Verts allemands, Claudia
Roth. Elle est venue à Varsovie avec l'ancienne ministre
allemande de l'Agriculture, Renate Künast, et Volker
Beck, un député allemand agressé le 27 mai lors d'une
Gay Pride interdite à Moscou. «La Pologne est membre de
l'Union européenne. Nous devons soutenir les Polonais,
pour que les gens puissent exprimer avec fierté leur
sexualité», explique Neubert Aron, 38 ans, Berlinois
venu à Varsovie avec son partenaire, brandissant un
grand drapeau européen. «Ce n'est pas encore une marche
festive, c'est une marche revendicative pour obtenir une
place dans la société, souligne, de son côté, Stéphane
Corbin, président d'Interpride France. C'est important
d'être là, pour que ce gouvernement voie que les gays
polonais ne sont pas seuls.» |
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