Le MOMOSITE vous présente : |
|
|
|
Peintures et scandales |
|
Page mise à jour le 10/02/2019 |
Ne pas confondre imposture et scandale. L'imposture pour celui qui ne tombe pas dans le panneau se traduira par du mépris ou par de l'indifférence. Le scandale c'est autre chose, articles de journaux dépassant le cadre des amateurs d'arts, protestations collectives...
Edouard Manet (1832-1883) devint un spécialiste de ce genre de choses.
Il proposa au jury du Salon de 1863, ce "Déjeuner sur l'herbe" sous
l'appellation le "bain". L'œuvre fut refusée et sera exposé au
"Salon des Refusés". C'était le but recherché : (l'artiste ayant un
moment envisager de la nommer "la partie carrée") la présence d'une femme
nue avec deux hommes en habits contemporains dans un tableau sans aucune
connotation mythologique était faite pour choquer les bien pensants de l'époque. A
ce titre la "défense" du tableau par Emile Zola : "La foule y a vu seulement
des gens qui mangeaient sur l'herbe, au sortir du bain, et elle a cru que
l'artiste avait mis une intention obscène et tapageuse dans la disposition du
sujet, lorsque l'artiste avait simplement cherché à obtenir des oppositions
vives et des masses franches." est à mourir de rire ! Ce tableau
(sans doute surestimé) est avant autre chose un hymne au libertinage et
la grivoiserie... Sinon à bien y regarder on ne comprend pas trop
bien ce qui se passe... C'est avant ou après la "partie carrée". Le
panier renversé semble nous indiquer que c'est après. Mais les deux
personnages masculins ont une drôle de façon de se rhabiller (on
remet la cravate, mais pas les chaussures). Alors c'est peut-être
avant, la main du barbu de gauche est prête à l'action, mais alors
pourquoi ce panier renversé. Bref chercher la logique là dedans semble
vain d'autant qu'on se demande dans tous les cas de figure ce que
fabrique le quatrième personnage en haut (elle cueille des myrtilles
?) sinon équilibrer le tableau en un triangle de composition. Bref
ce tableau n'est rien d'autre qu'une joyeuse gaudriole. Manet a eu son
petit scandale, sans doute pas autant qu'il ne l'aurait espéré, (la
légende est venu après en l'amplifiant). Et ce tableau est
aujourd'hui considéré par certains comme l'acte de naissance de
l'impressionisme (on ne rigole pas)
(Le modèle est Victorine Meurent (1844-1927) qui posa également pour
l'Olympia du même artiste)
Un petit mot sur l'inspiration du tableau - Regardez
cette gravure
Agrandissons la partie droite...
Alors c'est quoi ce tableau ? C'est la version de Raphael (carrément) du
Jugement de Paris. Cette gravure est considérée comme perdu mais a été
reproduite par Marcantonio Raimondi vers 1514-1518.
Ménippe de Diego Velasquez (1599-1660)
et le buveur d'Absinthe de Manet
Notons que contrairement à quelques idées reçues, le "Déjeuner sur l'herbe" n'est pas le premier refus opposé à Manet, ainsi au salon de 1859, le buveur d'Absinthe sera refusé. Le jury et les critiques reprocheront notamment à ce tableau, son manque de finition. Manet répondra que ce manque de finition était volontaire et que le l'œuvre était un hommage à Velasquez et plus précisément à son tableau Ménippe (qui n'est sans doute pas ce que Vélasquez a produit de meilleur, mais son tableau était fini, lui !)
Et nous voici au salon de 1864. Le Christ aux anges
de Manet est refusé. Et hop en route pour le "Salon des refusés". Il est
étrange que l'on parle toujours du "Déjeuner sur l'herbe" et de
"Olympia" mais pas de celui-ci ! C'est vrai que sur un sujet qui se veut
dramatique, non seulement l'émotion ne fonctionne pas, mais la posture du
Christ est pour le moins insolite, le visage est obscurci sans raison,
l'oreille gauche est asymétrique et décollée, la main gauche est ratée,
les ailes des anges sont noyés dans l'obscurité. Il n'y eut même pas de
scandale mais les critiques et le public ont bien rigolé.
Et nous arrivons au Salon de 1865 avec la fameuse
Olympia où il fut accepté. Là encore les historiens de l'art ont
inventé un scandale qui n'existe pas ! Aucune gazette de l'époque ne
parle de scandale. A moins de confondre scandale et quolibets (ce
n'est pourtant pas la même chose). On a écrit et on continue
d'écrire des bêtises sur ce tableau. Le fait qu'il représente une
prostituée (qui passerait donc toute sa journée à poil sur un lit
d'une personne) de luxe puisque elle a une servante, (laquelle
lui annonce la venue d'un client qui a apporté un bouquet), serait
d'une audace incroyable. Ah, bon ? Pourtant des tableaux représentant
des courtisanes ce n'est pas ça qui manque ! On nous parle de la
puissance du contraste entre la femme blanche et la femme noire (sans
blague ?) On nous parle aussi du chat noir (noyé dans le décor) et
qui relève la queue (faut bien regarder), sur ce coup c'est vrai
que Manet à fait fort... et on voudrait qu'on ne rigole pas ! Quant au
modèle, Victorine Meurent, elle est bien mieux dans "le Déjeuner sur
l'herbe", Là l'érotisme ne fonctionne pas (Manet n'a pas poussé
"l'audace" jusqu'à lui dessiner ses tétons, alors que certains de ses
contemporains le feront). Manet a cherché le scandale, il n'eut que
des sarcasmes. Notons la taille : le tableau est grand : 1,90 m
sur 130,5 alors que l'époque produisait des œuvres de dimensions
modestes. Cela resta un handicap pour un éventuel acheteur.
Caricature d'Olympia par Cham (1818-1879)
Caricature par Bertall (1820-1882, de son
vrai nom Charles Constant Albert Nicolas d'Arnoux de Limoges Saint Saens)
Notons que le jury du salon de 1865 n'avait rien contre les impressionnistes, deux œuvres de Claude Monet, "L'embouchure de la Seine à Honfleur", et "La pointe de la Hève", y furent exposés et reçurent un bon accueil.(1)
En 1866, nouveau refus, il s'agit du Joueur de fifre
(un portrait en pied en habit de militaire, le visage étant encore
celui de Victorine Meurent) Encore une fois Manet dit s'inspirer de
Vélasquez, mais c'est du pire Vélasquez dont il s'agit, celui qui nous
peignait des nains et des bouffons... et sur ce sujet on pourra raconter
tout ce qu'on veut. Je n'ai rien ni contre les nains, ni contre les
bouffons, mais je ne vais pas en priorité dans les musées et dans les
expos pour voir ça !
On ne parla pas beaucoup de ce refus et seul Emile Zola sorti la grosse
artillerie. (normal pour défendre une peinture militaire !)
En 1877, encore un refus (à l'unanimité) pour "Nana" ! Et pourtant sur ce coup là, il n'y a pas grand chose à reprocher à Edouard Manet qui nous a peint un très joli tableau. La Maison Giroux, marchand d'art recueillit alors l'œuvre dans sa vitrine rue de Marengo.
1999 - La Nona Ora,
"installation "de Maurizio Cattelan, représente le pape Jean-Paul II
écrasé par une météorite. Son titre, “la neuvième heure” renvoie au
verset de la Bible au moment de la mort du Christ.
Des plaisanteries sur Jean-Paul II, il y en a des centaines, il suffit
de faire une recherche sur "Google image" avec comme mot clé "Pape
humour". Et il faut bien avouer que certaines sont géniales, drôles et
bien construites. Celle-ci sans être franchement mauvaise ne se détache
pas du lot. Seulement voilà, l'auteur a décidé 1 - qu'il s'agissait
d'une œuvre d'art et 2 - il a décidé de la faire exposer dans un musé de
Varsovie. Vous rendez-vous compte, à Varsovie où 90 % de la population
est composé de culs-bénis qui vénèrent leur pape polonais comme une
véritable idole. Alors ça n'a pas trainé, le scandale eut lieu, la directrice du musée fut
limogée. Et... l’œuvre, qui valait 80.000 dollars lors de sa création,
s'est vendue pour 3 millions de dollars en 2004.
Dans le cadre d'une exposition d'art en Avignon, (2011) le
photographe Andres Serrano présente un cliché intitulé "Immersion (Piss
Christ)". En fait c'est la photo d'un crucifix en plastique baignant dans l'urine(2).
Ce cliché n'est pas une nouveauté, il date de 1987, il a fait le tour du
monde et provoqué ça et là quelques scandales bien orchestrés. Tout un
chacun maintenant, dans le petit monde des arts (à défaut du grand
public) connaît le nom de ce photographe.
Manifestement certains crétins ne comprendront jamais que manifester
contre une œuvre c'est lui faire de la pub. En Avignon, donc, un groupuscule d'agités intégristes porte plainte, un deuxième (à
moins que ce soit le même) organise une manif de protestation et un troisième envoie un commando en
lunettes noires destroyer le cliché à l'intérieur de la galerie.
Résultat, la notoriété d'Andres Serrano a grimpé en flèche, la cote de
ses œuvres aussi !.
Admirons aussi la stratégie de l'auteur qui ne prend (théoriquement)
aucun risque : C'est un cliché donc c'est reproductible, et puis c'est
le christianisme qui est concerné. Je ne vous dis pas ce qu'aurait donné
un Coran à la place d'un crucifix...
Certes, il faut affirmer haut et fort le droit inaliénable de créer,
(ainsi que celui de blasphémer) et
si les commandos de casseurs d'œuvres nous rappelle les pires heures
noires de notre "civilisation", il ne faut pas non plus tomber dans le
piège de la contre-provocation. A ce titre voir des manifestants CGT et
"anarchistes" voler au secours des milliardaires de l'art est d'une
indécence assez stupéfiante !
Notes :
(1) et n'allez surtout pas en conclure que je sous-estime Manet, il nous a
peint de bien belles choses, ne serait-ce que ce très joli tableau peint
vers 1879 et intitulé : "Blonde aux seins nus" (les seins sont très
beaux, le visage n'est pas terrible et possède un barbouillage assez étrange
au niveau de la pommette).
Et cette fois ce n'est pas
Victorine Meurant, mais
Méry
Laurent une autre égérie d'Edouard Manet, qui a servie de modèle !
J'aime bien aussi, cette simple étude, intitulée la femme
au chat réalisée vers 1962-1963 (Donc avant l'Olympia !)
(2) J'ai bien aimé le lapsus de Claire Chazal sur TF1 : "La photographie mettant en scène un crucifix trempé dans l'urine du Christ..."
Remerciement au site de Philippe Declerck pour sa pertinence au sujet des œuvres d'Edouard Manet.
Voir aussi : L'imposture en peinture - L'art abstrait - Pas abstrait, mais bof...