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Einstein et Newton, dialogue au royaume des ombres

Page mise à jour le 24/05/2011

Préambule
(j'ai reçu cet excellent texte par mail, j'ignore quel en est l'auteur et n'ai rien trouvé en se sens en fouillant dans les moteurs de recherches. Il va de soi que s'il était sous copyright, je m'engage à le retirer sous simple demande)

DIALOGUE AU ROYAUME DES OMBRES

Einstein rêve devant le tableau noir, où il a tracé une simple ligne droite. Newton arrive dans son dos et lui tape sur l'épaule. Einstein se retourne…

NEWTON : C'est vous, Einstein ?

EINSTEIN : Oui. Pourquoi ?

NEWTON : J'en apprends de belles sur votre compte ! Il paraît que vous voulez ficher par terre tout ce que j'ai construit ? Mon travail ne serait que blabla ? Non mais, vous ne seriez pas un peu malade, par hasard ?

EINSTEIN : Mais… Mais qui êtes-vous ?

NEWTON : Et en plus, vous vous moquez de moi ! Le monde entier me connaît, Monsieur, le monde entier me respecte et m'admire depuis bientôt trois siècles ! Si vous tenez debout les pieds bien accrochés à la terre, c'est grâce à moi !

EINSTEIN : Newton ! Isaac Newton !!!

NEWTON : Pour ne pas vous servir !

EINSTEIN : Depuis que je suis arrivé au royaume des ombres, je ne cesse de vous chercher ! Et vous êtes là, enfin !

NEWTON : Oh, ne plaisantez pas, je vous en prie !

EINSTEIN : Je vous assure que je ne plaisante pas !

NEWTON : On ne le dirait pas.

EINSTEIN : Mais enfin, qu'ai-je fait contre vous ? Ai-je empêché votre pomme de tomber ? Elle tombe toujours, votre pomme. Au marché Chanzy comme partout ailleurs.

NEWTON : Ah, tout de même !

EINSTEIN : Mais elle ne tombe plus de la même façon, voilà tout… Pour vous, elle tombe parce qu'elle est attirée par la Terre. Pour moi, parce qu'elle glisse selon la plus grande pente !

NEWTON : Quoi ???

EINSTEIN : Oui, elle glisse sur la plus grande pente. Du coup, elle ne tombe plus tout aussi droit qu'avec vous !

NEWTON : Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

EINSTEIN : Ah, ne m'en parlez pas ! Elle m'a valu quelques migraines ! Et quelques grands éclats de rire, aussi… Tout a commencé quand j'avais vingt-cinq ans : figurez-vous qu'un jour, à Berne, je me suis aperçu que je n'arrivais plus à lire l'heure au clocher de la ville !

NEWTON : Vous aviez oublié vos lunettes ?

EINSTEIN : Pas du tout. Mais je me suis dit : au moment où j'apprends l'heure qu'il est, il n'est déjà plus l'heure que je vois !

NEWTON : Comment cela ?

EINSTEIN : Je venais de trouver une autre façon de voir ! Vous m'aviez bâti un monde où il y avait la longueur, la largeur, la hauteur, toutes les trois bien droites, rigides, solides, sans mystère, et dans cette géométrie là, le temps coulait, tranquille, sûr de lui, toujours le même.

NEWTON : Et ça ne vous convenait pas ?…

EINSTEIN : Si ! Mais c'était trop confortable. Si confortable que je m'y endormais.

NEWTON : Et vous ne vouliez pas dormir ?

EINSTEIN : Qui aurait pu passer toute sa vie à dormir dans un monde aussi extraordinaire que celui où nous vivions ? Dormiez-vous, vous-même, quand vous avez vu que les corps s'attirent en fonction directe de leur masse et indirecte du carré de leur distance ?

NEWTON : J'étais si bien réveillé que ma cafetière commençait à bouillir !

EINSTEIN : Eh bien, un jour, la mienne aussi s'est mise à bouillir !

NEWTON : Et, du coup, il n'était plus vrai que les corps s'attirent en raison directe de leur masse et indirecte en fonction de…

EINSTEIN : Mais si, mais si, c'est toujours vrai, évidemment… Seulement je vous l'ai dit, la façon de le voir a changé !

NEWTON : C'est-à-dire ?

EINSTEIN :Tenez, mon bon maître, un petit exemple… (Il dessine au tableau noir le croquis) Ça, c'est une voie ferrée…

NEWTON : Une quoi ?

EINSTEIN : Une voie ferrée. Là où passent les trains.

NEWTON : Les quoi ?

EINSTEIN : Dites mon bon maître, il faudrait quand même que, de temps en temps, vous jetiez un coup d'œil par la lucarne pour voir où en est le monde… (Il pointe son doigt à travers une lucarne imaginaire) Tenez, regardez, là, en bas… Vous voyez le TGV qui passe ?

NEWTON : Cette espèce de gros serpent de fer qui glisse comme s'il avait le feu au derrière ?

EINSTEIN : Tout à fait. Il glisse sur une voie ferrée que je dessine ici et où je place les points A et B, distants… Disons de 200 mètres.

NEWTON : 200 quoi ?

EINSTEIN : Ah, si vous ne faites pas preuve d'un peu de bonne volonté, ça risque d'être difficile…

NEWTON : Bon, d'accord… Si je divise 1 par 299792,458, j'obtiens la valeur d'un mètre, le nombre 299792,458 représentant la vitesse de la lumière que, par commodité, on arrondit à 300 000 km/s.

EINSTEIN : Parfait. Ceci posé, imaginons : le TGV aborde cette portion de voie ferrée au point A et se dirige vers le point B. Quand la motrice franchit le point B, elle émet un éclair. Quand la voiture de queue dépasse le point A, elle émet également un éclair.

NEWTON : Et alors ?

EINSTEIN : Et alors si, pour regarder passer le TGV, vous vous postez à égale distance des points A et B, là par exemple...

NEWTON : Sur la médiatrice de AB ?

EINSTEIN : Oui. Posté là, à égale distance de A et B donc, vous regardez passer le TGV. Si l'éclair de la motrice franchissant le point B se produit exactement au même instant que celui de la voiture de queue dépassant le point A, qu'en concluez-vous ?

NEWTON : Que le TGV a la même longueur que la portion de voie AB, soit deux cents mètres, évidemment.

EINSTEIN : Parfait. Imaginons maintenant que, pour regarder passer le train, vous vous postiez au niveau du point A, à quelques mètres de la voie... Ici, par exemple…

NEWTON : Qu'est-ce que ça change ?

EINSTEIN : Tout.

NEWTON : C'est-à-dire ?

EINSTEIN : Quand le même TGV passera, vous pourrez constater que sa longueur est inférieure à 200 m !

NEWTON : Vous vous foutez de moi ?

EINSTEIN : Réfléchissez. L'éclair que déclenchera la voiture de queue en franchissant le point A vous arrivera avant l'éclair de la motrice atteignant le point B.

NEWTON : Pourquoi ?

EINSTEIN : Parce que vous êtes beaucoup plus loin du point B que du point A. Ayant une plus grande distance à franchir l'éclair émis en B vous arrivera donc avec un certain retard. Très minime, sans doute, mais réel. Et comme vous le recevrez après celui émis en A dont vous êtes tout proche, vous en conclurez que la motrice n'est pas encore arrivée en B, alors que la voiture de queue vient de franchir le point A. Donc, le TGV fait moins de 200 m… 195 m, par exemple. Et si vous observez le même phénomène au niveau du point B, c'est l'éclair émis en A qui vous arrivera avec retard, et donc, vous en conclurez cette fois que le TGV mesure 210 m.

NEWTON : Illusion d'optique. La longueur du TGV n'a pas varié.

EINSTEIN : Pour lui, sans doute. Mais pour vous... Si, posté à un point fixe, vous ne pouvez mesurer le TGV qu'en l'observant passer, sa longueur sera toujours différente selon la place que vous occuperez pour l'observer.

NEWTON : Petit tour de physique amusante, rien de plus.

EINSTEIN : Croyez-vous ? Alors, imaginons une rivière… (Il dessine le croquis à mesure qu'il décrit l'expérience) Sur cette rivière passe une péniche… Elle avance très lentement… Convenons qu'elle avance de 3 mètres en 4 secondes. Vous êtes assis sur la berge, vous la regardez passer et au moment où elle arrive à votre hauteur, un marinier qui se trouvait tout au bord de la péniche, de votre côté, en A, quitte ce bord pour rejoindre l'autre bord, en B, puis revient de votre côté. Convenons que la largeur de la péniche est de 4 m, et que le marinier marche à la vitesse de 1 m à la seconde. Il lui faudra donc 4 secondes pour atteindre le point B. Vous y êtes ?

NEWTON : Et alors ?

EINSTEIN : Et alors, pendant les 4 secondes que met le marinier pour passer d'un bord à l'autre, la péniche, elle, aura avancé de 3 m, ainsi que nous en sommes convenus. Á ce moment, le point A, d'où est parti le marinier, se trouve donc ici, en H, tandis que le marinier atteint le point B… Qui ne se trouve donc plus en B, mais en C, puisque la péniche a avancé…

NEWTON : Je vous vois venir...

EINSTEIN : Quand le marinier atteint le point B, il a parcouru 4 m en 4 secondes… Mais pour votre œil, il arrive en C, et non en B. Or, si la distance AB fait 4 m, quelle est la distance de AC ?

NEWTON : Enfantin. AH fait 3 m, HC fait 4 m ; donc, 3 fois 3 égale 9 ; 4 fois 4 égale 16 ; 16 plus 9 égale 25 dont la racine carrée est 5. AC fait donc 5 m. Merci Pythagore !

EINSTEIN : Autrement dit, quand le marinier en 4 secondes parcourt 4 m, dans le même temps, pour votre œil il en parcourt 5. Soit, à chaque aller-retour, le marinier parcourt 8 m en 8 secondes, et pour vous, dans le même temps, il en parcourt 10. Autrement dit, pour concilier les deux phénomènes qui, en vérité, n'en font qu'un, quand la péniche se déplace, il faut que, pour vous, ou les mètres deviennent plus courts, ou les secondes plus lentes…

NEWTON : Mais, mais...

EINSTEIN : Il n'y a pas de "mais", et vous allez vous en rendre compte aussitôt, grâce à une dernière observation. Imaginons pour achever ma démonstration un satellite géostationnaire B à 150000 kms au-dessus du point A situé sur Terre. Du point A part un rayon laser qui se réfléchit en B et revient en A. Comme l'aller-retour ABA mesure 150 plus 150 égale 300, soit 300000 kms, qui correspond à la vitesse de la lumière, cet aller-retour s'effectue en 1 seconde. Ces aller-retours s'enchaînant, ce système constitue une horloge qui bat la seconde. D'accord ?

NEWTON : D'accord !

EINSTEIN : L'ennui, c'est que, par rapport à nos horloges terrestres, cette horloge retarde.

NEWTON : Hein ?

EINSTEIN : Eh oui. Car la Terre tourne ; et le satellite aussi. Aux yeux d'un observateur qui serait immobile dans l'espace, le satellite tourne même beaucoup plus vite que la Terre. Ainsi, les aller-retours du rayon laser sont semblables aux aller-retours du marinier sur sa péniche, mais d'une façon beaucoup plus significative car enfin, si la rotation de la Terre, en une seconde, représente une quantité négligeable, il n'en va pas du tout de même à 150000 kms d'altitude, où l'arc de cercle parcouru en une seconde par le satellite géostationnaire est infiniment plus grand ! Conséquence : l'aller-retour représente une distance sensiblement supérieure à 300000 kms, distance que vous pourrez calculer comme précédemment grâce à Pythagore. Est-ce dire que la lumière a parcouru plus de 300000 kms en une seconde ?… Impossible, puisque la vitesse de la lumière est une limite indépassable. Il faut donc en conclure que…

NEWTON : Stop ! Stop !

EINSTEIN : Oui ?

NEWTON : Vous venez de me dire que la vitesse de la lumière est indépassable. Qu'en savez-vous ?…

EINSTEIN : C'est une expérience réalisée à Cleveland en 1887 par les physiciens Michelson et Morley qui l'a établi. Nous y reviendrons si vous le désirez. Pour l'instant, acceptez ce qui est acquis et avançons. Je vous disais donc que la vitesse de la lumière étant une limite indépassable, dans ses aller-retours avec le satellite géostationnaire le rayon n'a pas pu dépasser la vitesse de 300000 kms/s, et en conséquence il nous faut admettre que c'est le temps qui s'est dilaté, et qu'il a coulé plus lentement. Ce phénomène qui nous paraît extravagant, on le constate facilement en embarquant une horloge atomique sur un avion à réaction qui tourne autour de la terre. L'avion n'a même pas besoin de faire plusieurs tours pour que le constat soit clairement possible : l'horloge embarquée retarde d'une fraction de seconde... Qu'avez-vous, vous êtes tout pâle ?…

NEWTON : Ce n'est rien, je reprends mes esprits… Laissez-moi réfléchir… Si ce que vous dites est vrai, vos téléphones portables, qui fonctionnent par l'intermédiaire de satellites, ne peuvent pas fonctionner...

EINSTEIN : Bien vu. Il a fallu en effet tenir compte du phénomène de la relativité espace-temps pour que les communications puissent clairement s'établir…

NEWTON : Car c'est cela que vous nommez la relativité...

EINSTEIN : Oui. La relativité restreinte. Elle est dite restreinte parce qu'elle se fonde sur un seul point immobile de référence, que l'on nomme « référentiel inertiel »… Mais comme dans l'espace rien n'est immobile, il n'y a plus de référentiel possible et c'est pourquoi l'on parle alors de « relativité générale ».

NEWTON : Bon. Mais tout cela ne me dit pas pourquoi vous ne voyez plus tomber la pomme de la même façon que moi.

EINSTEIN : Parce que, ne disposant plus du moindre référentiel inertiel, il m'a fallu construire la relativité générale sur l'idée de gravitation ; et c'est la gravitation qui a tout changé.

NEWTON : Comment cela ?

EINSTEIN : Au début du vingtième siècle se faisait jour l'idée que les atomes qui constituent la matière sont en perpétuelle agitation, comme une colonie de mouches bourdonnantes enfermées dans un bocal…

NEWTON : Le mouvement brownien !

EINSTEIN : Exact. Ce mouvement perpétuel est à mes yeux une énergie. D'où j'ai conclu qu'une masse, c'était comme une concrétion d'énergie, une énergie cristallisée, solidifiée, masquée sous l'apparence d'une matière au rep…

NEWTON : D'où E = mc².

EINSTEIN : au repos qui mesure la transformation de la masse en énergie. C'est une intuition qui m'a fait écrire cette formule. Il a fallu attendre la première explosion atomique pour ne plus douter de sa justesse. Mais foin de bombe atomique, pour l'instant, ne retenons que l'idée que voici : il ne faut pas confondre masse et poids. Le poids, c'est la conséquence d'un phénomène d'attraction, c'est celui que vous avez pris en considération. La pomme tombe parce qu'elle pèse, c'est-à-dire parce qu'elle est attirée par le sol. La masse, elle, représente l'énergie emmagasinée dans la matière. Et cette énergie émet des ondes gravitationnelles qui déforment l'espace.

NEWTON : Hein ?

EINSTEIN : Je pourrais dire qu'il suffit d'un aimant pour disposer en courbes la limaille de fer. Mais il y a une expérience encore plus simple pour illustrer ce phénomène. Si vous lancez un ballon dans un hamac, il s'enfonce dans le hamac en le déformant. Eh bien, toute matière s'enfonce dans l'espace comme le ballon dans le hamac et le déforme, au moins localement. Les ondes gravitationnelles émises par les masses sont partout, comme l'a montré votre théorie de la gravitation universelle. Mais comme ces ondes expriment une énergie, et pas seulement une attraction, elles façonnent l'espace... au moins localement. Or, le mouvement de rotation étant le mouvement même de l'univers, la masse agit sur l'espace en le courbant. Il n'y a donc plus de lignes droites, et votre pomme va tomber selon sa plus grande pente, une pente qui sera si faiblement courbe qu'elle ne se verra pas, mais c'est une courbure qui, à l'échelle de l'univers, frappe l'œil. Même la lumière est sensible à cette courbure. Au cours d'une éclipse totale de soleil, on a pu le constater avec la lumière d'une étoile qui se trouvait au-delà du soleil… Pour arriver jusqu'à nous, elle a littéralement contourné le soleil !

NEWTON : C'est une drôle de blague que vous nous faites là. En supprimant la ligne droite, vous assassinez Euclide.

EINSTEIN : Pas du tout. Euclide est toujours vivant parce que, à notre échelle, sa géométrie fonctionne toujours très bien… C'est au niveau des espaces interstellaires que tout est tordu ! Mais ce n'est là que la moitié de la blague !

NEWTON : Oh, oh, où allons-nous ?

EINSTEIN : Quand l'idée m'est venue que la lumière était composée de petits « grains » de photons, une autre blague a surgi. C'est en effet la notion de « photon » qui est à l'origine de ce que l'on appelle la « mécanique quantique ».

NEWTON : Comment vous est venue cette idée de « photon » ?

EINSTEIN : Le phénomène photo-électrique, qui transforme la lumière en électricité, est aujourd'hui bien connu, ne serait-ce qu'en raison des panneaux solaires que l'on voit un peu partout ou des cellules qui ouvrent automatiquement les portes. De mon temps, on le découvrait à peine ce phénomène, et comme la lumière était alors connue comme une onde, on s'imaginait que plus était grande la fréquence de cette onde, plus était intense l'électricité produite. Or, à l'expérience, on a constaté que ce n'était pas du tout une question de fréquence, mais une question de quantité de lumière qui conditionnait l'intensité de l'électricité produite, d'où il a bien fallu conclure que c'est une quantité de lumière, et donc de petits « grains », les photons, qui se transformaient en électrons… Ainsi, la surface métallique éclairée « avale » des photons dont certains se retrouvent sous forme d'électrons. Mais comme, malgré cela, la lumière continuait à se manifester comme une onde, il a bien fallu accepter de dire qu'au niveau atomique la réalité se présentait sous le double aspect d'une onde et d'une particule : c'est cette notion de deux états distincts et superposés, onde et particules, qui a fondé la mécanique quantique.

NEWTON : Et là, vous vous êtes planté ! Permettez-moi donc d'intervenir, car j'ai beaucoup plus regardé par la lucarne que je ne vous l'ai laissé croire et ce que j'ai vu m'a beaucoup amusé…

EINSTEIN : Je m'en doute. Allez, vengez-vous !

NEWTON : La mécanique quantique montre des phénomènes tout à fait surprenants, au point de heurter la raison. Pour les illustrer, je vous propose une petite comédie en trois actes…

Premier acte : imaginez une route… Rectiligne, large, parfaitement carrossable. De la droite arrive un taxi, de la gauche arrive un autre taxi, ils s'avancent à vive allure face à face et… splash ! Vous vous dites : des deux taxis, il ne reste plus qu'un amas de ferraille. Eh bien, pas du tout : après le choc, les deux taxis repartent chacun de son côté comme s'ils n'avaient fait que se frotter le nez à la manière des esquimaux qui s'embrassent. La preuve : le frottement des nez a fait apparaître la descendance de trois ou quatre petits taxis rigolos qui s'en vont très vite baguenauder dans les parages… Je suis fou ? Je raconte n'importe quoi ?… Pardon, je viens de vous montrer ce qui se passe dans l'accélérateur du CERN à Genève lorsque deux particules se rencontrent.

Deuxième acte : le même phénomène que précédemment mais vu dans… Une chambre à bulles. Ou une photo, comme vous voudrez. La chambre est dite « à bulles » parce qu'elle contient je ne sais quel liquide plus ou moins transparent qui, lorsqu'il est traversé par « quelque chose » qui possède une énergie, fait naître de petites bulles bien visibles. Le physicien Bernard d'Espagnat compare ce phénomène à celui de l'avion qui laisse derrière lui une traînée de condensation… Vous voyez ainsi la trace des deux taxis, et leur choc, et les petits "taxiveaux" qui en naissent… Et vous positionnez clairement les trajectoires. Or, il n'y a pas de trajectoire, et ce n'est même pas « quelque chose » qui a traversé la chambre à bulles… Il y a bien des traînées de condensation, mais aucun avion n'est passé. Ce que vous prenez pour une trajectoire est semblable à la fêlure d'un vase en cristal, et ce n'est, de ça de là, qu'un enchevêtrement dont on ne sait pas quoi. Ce que vous avez vu n'est donc qu'une illusion, comme le bâton qui se casse lorsque vous le plongez à demi dans l'eau.

Troisième acte, de plus en plus fort, toujours avec des images amusantes qui ne trahissent pas le fond de l'histoire. Voici deux fléchettes, deux fléchettes d'un jeu bien connu… Ces deux fléchettes sont serrées l'une contre l'autre, elles sont pour ainsi dire « mariées », leur sexe a pris l'aspect d'une couleur : l'une est verte, l'autre rouge. Les voici lancées. Ensemble. D'un même geste. Dès le départ, les fléchettes se séparent. Chacune aboutit dans une cible différente. Les deux cibles sont à quelques mètres l'une de l'autre. Théoriquement, elles pourraient être séparées par des années-lumière. Parties au même instant, elles arrivent au même instant, la verte dans la cible A et la rouge dans la cible B. Je les regarde : dans la cible A, la verte est toujours verte, et dans la cible B, la rouge est toujours rouge. Maintenant, supposons : survient Harry Potter ! Avec sa baguette magique, il pointe la fléchette verte sur la cible A, il dit son "abracadabra" et aussitôt la fléchette verte devient rouge tandis… Tandis qu'au même instant, à l'autre bout du monde, dans sa cible B la fléchette rouge est devenue verte ! Sans qu'Harry Potter l'ait voulu ! Et il en reste pantois ! Tout s'est passé comme s'il n'y avait qu'une seule fléchette, mais qu'elle ait eu le pouvoir de se trouver simultanément en deux endroits différents !

Je traduis en langage scientifique : les fléchettes, ce sont deux particules. Elles ont inter-réagi ensemble, les physiciens disent qu'elles sont corrélées. Elles sont lancées simultanément et elles arrivent au même instant chacune dans une cible, les cibles pouvant être théoriquement séparées par des années-lumière. A l'arrivée dans la cible, chacune a gardé sa polarité : l'une positive, l'autre négative. Si je change la polarité de l'une des particules sans que j'intervienne sur l'autre, l'autre change de polarité de façon symétrique, et le phénomène est instantané ; il n'a rien à voir avec la vitesse de la lumière. Entre les deux particules, tout se passe comme si l'espace avait disparu, comme s'il n'y avait qu'une seule particule et cela, quelle que soit la distance qui sépare A de B. Les physiciens parlent à ce propos de « non-séparabilité », de « non-localité ». La première expérience, maintes fois répétée, a été réalisée en septembre 1981 au laboratoire d'Orsay par une équipe de physiciens sous la direction d'un collègue nommé Alain Aspect. Je vous en bouche un coin, hein ?
 

Bref, toutes les expériences ont montré qu'au bout du compte, lorsqu'on descend dans l'infiniment petit, tout finit par se réduire en un champ qui n'a ni forme, ni densité, ni substance, ni lieu, ni durée, et où il n'y a plus rien. Les physiciens l'appellent le « vide quantique », il est la source de toute réalité, mais cette source se trouve au-delà de l'espace et du temps, et nous ne pouvons donc rien en dire ! D'où ma question : que deviennent vos belles théories quand il n'y a plus ni espace, ni temps ?

EINSTEIN : En montrant que l'espace et le temps peuvent se réduire comme un ballon qui se dégonfle, la relativité montre qu'à la limite, espace et temps disparaissent. C'est en cela que nos façons de voir diffèrent… Pour vous, si on supprime tout ce qui existe, au moins reste-t-il l'espace et le temps. Pour moi, si on supprime tout ce qui existe, même l'espace et le temps disparaissent. C'est d'ailleurs ce qui se produirait si nous pouvions nous déplacer à la vitesse de la lumière : le facteur gamma prendrait une valeur infinie…

NEWTON : Le… Le quoi ?

EINSTEIN : Le facteur gamma… Nous en reparlerons un peu plus tard si vous le voulez… Je reprends : que l'espace et le temps disparaissent à partir d'une certaine limite, c'est d'autant mieux établi que mon ami Max Planck a même réussi à calculer cette limite. En deçà de 10-44 seconde il n'y a plus de temps, et en deçà de 10-35 centimètre il n'y a plus de d'espace !

NEWTON : Bon, d'accord, je veux bien que le vide quantique ne contredise pas votre relativité générale, et même, d'une certaine manière, la confirme. Reste tout de même le phénomène du hasard. Vous n'étiez pas à Copenhague, dans les années 2O, quand Heisenberg, Bohr, Schrödinger, et deux ou trois de leurs collègues se sont heurtés à la fameuse « relation d'incertitude ». Ils furent stupéfaits lorsqu'ils découvrirent que lorsqu'ils connaissaient la position d'une particule, il n'était plus possible d'en mesurer la vitesse, et inversement, il n'était plus possible de dire où se trouvait la particule quand sa vitesse était connue. La découverte fit l'effet d'une bombe parce qu'en établissant un phénomène aléatoire le constat montrait qu'il pouvait exister des effets sans cause… ce qui vous a profondément scandalisé… C'est à cette occasion que vous avez dit : Dieu ne joue pas aux dés !

EINSTEIN : Et je le maintiens, car il ne peut pas y avoir de science là où la raison, et la rigueur de sa logique, ne peuvent plus régner.

NEWTON : Et pourtant, aujourd'hui, la science est confrontée à ce problème. La relativité générale et la mécanique quantique, que vous avez toutes deux initiées, règlent ensemble le monde… Et pourtant, elles se contredisent fondamentalement : l'une est déterministe et montre qu'il n'y a pas d'effet sans cause, et l'autre laisse au hasard une part impossible à réduire…

EINSTEIN : Une toute petite part... Quand vous jouez à pile ou face, vous aurez d'autant plus de chances d'obtenir autant de piles que de faces que vous lancerez souvent la pièce… Sur dix lancers, il n'est pas exclu que vous obteniez neuf, voire dix piles pour une, ou zéro face ; mais pour cent mille lancers, vous avez de meilleures chances d'approcher l'égalité entre pile et face, car l'inégalité sera proportionnellement d'autant plus faible que vous multiplierez les lancers. C'est ainsi que la multiplication des relations d'incertitudes est si grande dans la physique actuelle qu'elle peut quand même fonctionner sur un déterminisme fiable ; la statistique l'a clairement montré. Il n'en demeure pas moins qu'un hasard subsiste au cœur même du monde ; et si l'on veut unifier les deux théories, il faut bien le traquer ce hasard !

NEWTON : Pensez-vous qu'on y arrivera ?

EINSTEIN : Je me garderai bien de prédire quoi que ce soit en ce domaine. Rappelez-vous Lord Kelvin.

NEWTON : Oui. Par la lucarne, j'ai suivi avec attention ses raisonnements.

EINSTEIN : Evidemment, puisqu'il les fondait sur la solidité de votre monde. C'est ainsi qu'il a pu dire, à Londres, à la tribune de l'Académie Royale des Sciences, que la physique était à peu près terminée. Sans doute à ses yeux reste-t-il encore un ou deux petits problèmes, mais avec les avancées de la physique telles qu'il les voyait, il était convaincu que ces problèmes seraient vite résolus !

NEWTON : Et cela se passait quelques mois à peine avant vos fameux articles, ceux qui devaient tout relancer ! Une nouvelle physique était en train de naître, qui allait métamorphoser totalement le monde, jetant à Lord Kelvin le plus flagrant des démentis.

EINSTEIN : Alors, soyons prudents...

NEWTON : Oui… Et si je peux me permettre…

EINSTEIN : Je vous en prie, mon cher maître…

NEWTON : Par la lucarne, j'aperçois aujourd'hui un physicien qui ose dire : « Le réel n'est pas conceptualisable… Il est voilé, indépendant de nous, et il paraît bien acquis que nous ne pourrons jamais en rendre totalement compte… »

EINSTEIN : Bernard d'Espagnat ?

NEWTON : Tout à fait.

EINSTEIN : Si nous ne pourrons jamais tout savoir, cela ne veut pas dire que la science renoncera et s'achèvera un jour. Au contraire : si nous ne devons jamais atteindre le dernier mot des choses, nous nous en approcherons toujours de plus près. En géométrie, on appelle cela une asymptote.

NEWTON : Et il est bon qu'il en soit ainsi, ne le pensez-vous pas ?…

EINSTEIN : Certes ! Ce serait un grand malheur de tout savoir, car le doute disparaissant le dogme s'installerait et il ferait régner sur les hommes la pire tyrannie. Souvenons-nous de « Brave new world », le roman d'Huxley.

NEWTON : Alors ? Devrait-on donc en conclure que chaque découverte engendrerait un nouveau mystère ?

EINSTEIN : Sans hésitation aucune, cher Maître ! Alors ? Elle est pas belle la vie ?

NEWTON : Ça, c’est une autre histoire dont nous débattrons un autre jour… Si vous le voulez bien…