Sarah Brown
(v 1870 - ?)
Page mise à jour le 14/10/2015

On ne sait pas grand chose de cette Sarah Brown, juste une photo portant au verso la mention manuscrite suivante :
"Photographie de Sarah Brown au bal des 4z'arts de 1891. Elle ne portait pas de maillot sous ses ornements. Cela fit scandal (sic) et le sénateur Béranger assigna en justice Guillaume, Trouchet et d’autres artistes ce qui amorça l’émeute du quartier latin en 1892 et provoqua la mort d’une nommé Wuger ».

Le problème c'est qu'il est permit d'avoir de sérieux doute sur l'authenticité de ce document photographique. D'une part parce que les censeurs ont beau être des imbéciles, cette tenue de Cléopâtre n'a pas de quoi fouetter un chat et encore moins de quoi alimenter un procès, mais surtout les dates indiquées au verso sont fausses. Le bal des Quat'z'arts incriminé eut lieu en 1893 et non pas en 1891, l'émeute étudiante eu lieu également en 1893 (et non pas en 1892, voir plus bas les sources journalistiques officielles.) Le cliché est prétendument daté de 1892, donc avant les événements. Si cette date est juste, le cliché ne repente pas Sarah Brown. Par ailleurs, le personnage cité (Wuger) et en fait un étudiant dont le nom s'écrit "Nuger", et si Guillaume étudiant aux beaux-arts a bien été poursuivi, le dénommé Tronchet ne fait pas partie des prévenus(1) . De toute façon il est absolument exclu qu'un contemporain des événements ait pu commettre de telles erreurs ! Ce document est au mieux partiellement faux, au pire il l'est complètement !

Que s'est il réellement passé ? En le 8 février 1893, les étudiants des "Quat' z'arts", organisèrent au "Moulin-Rouge" leur bal annuel. Les modèles furent conviés et portées en tenue légères sur des palanquins. Il n'est pas difficile de deviner ce qui se passa ensuite, mais la soirée était privée. Il y a donc eu dénonciation ! Toujours est-il que le lendemain les journaux titrèrent :"Le Moulin-Rouge, devenu lieu de débauches ". Le sénateur René Béranger, sur la base d'un article publié par "le Courrier Français" et relayant une certaine "Ligue contre la License des rues" porta plainte auprès du parquet "au nom de la société".
Fait peu connu, la Goulue, alors vedette du Moulin Rouge se sentant offensée par la réaction des journaux ne trouva rien de mieux à faire que de porter plainte (en se constituant partie civile) contre les "Quat' z'arts".

Le 14 juin, 1893 un jugement de la onzième Chambre Correctionnelle condamna les" Quat' z'art" à une amende. Sarah Brown écopa (selon les sources) soit de 100 Frs d'amende avec sursis soit de 6 mois de prison !. Les étudiants protestèrent pacifiquement et se firent cogner dessus par la police, (1 mort) une émeute s'en suivit alors dans tout le quartier latin ! Ce qui fait dire à Henri de Toulouse-Lautrec "La Goulue, cette flamboyante catin, a mis le feu à Paris ! "

C'est en attendant le verdict du jugement de Sarah Brown que le poète Raoul Ponchon (2) écrivit ces vers

Oh ! Sarah Brown! Si l'on t'emprisonne, pauvre ange,
Le dimanche, j'irai t'apporter des oranges.

On nous dit que l'expression  "Quand tu sera en prison, je t'apporterais des oranges" provient de de ces vers ! On a le droit s'être sceptique !

Il n'a pas été possible de trouver des renseignements biographiques fiables sur Sarah Brown, Son vrai nom n'est pas "Marie-Florentine Roger" comme il est cité ça et là sur des sites peu scrupuleux. Le journal le Matin du 24 juin 1893 qui relate le procès nous parle des accusées "Mlle Royer dite Sarah Brown, Mlle Denne dite Suzanne, Mlle Roger et Mlle Lavolle dite Manon" (il ya donc eu sur le Net confusion entre Roger et Royer)  Quand est-elle née ? Que fut sa vie, hormis son activité de modèle ? Mystère et cachet d'aspirine !


Une autre photo supposée de Sarah Brown dans un tenue légèrement allégée par rapport au cliché du haut


En regardant attentivement on peut découvrir le téton gauche !


Quelques mots sur le sénateur René Béranger, (1830-1915) moraliste compulsif et détracteur de l'émancipation de la femme et de son droit au plaisir. Il fut député de la Drôme en 1871 puis sénateur à vie en 1875.

En 1904, le sénateur René Bérenger, surnommé le père la pudeur est à l'origine d'un décret proscrivant toute pilosité sur les reproductions anatomiques figurant sur les cartes postales. La plupart des cartes postales concernées se vendant dans les maisons closes, le décret ne fut pas vraiment appliqué à l'époque. Il le fut plus tard, et il faudra attendre les années 1970 pour que l'on puisse éditer des poils sans se faire interdire.

Béranger tentera également mais sans succès, d'interdire la fabrication des préservatifs.

En 1907 Bérenger se lance dans une campagne frénétique pour le respect des "bonnes mœurs". Il déclare vouloir purifier le théâtre et en fait poursuivre en justice un certain nombre.


On siat Sarah Brown était modèle pour les étudiants des beaux-arts et pour des artistes-peintres, notamment George-Antoine Rochegrosse (1859-1938) dont la "sa Mort de Babylone, qui figura longtemps au Luxembourg. Elle fut aussi, Cléopâtre, Salomé et Salammbô.


La mort de Babylone (mais ou est donc Sarah Brown ? Peut-être le personnage de gauche avec les jambes pendantes ?


Cléopâtre


Salomé


Pas trouvé le titre en français... Une odalisque ?


L'une des illustrations pour le Salammbô de Gustave Flaubert


Annexe 1 : Le compte rendu du procès peut être consulté sur ce lien (le Matin du 24 juin 1893)
Annexe 2 : Extrait du Progrès Illustré de Lyon du 16 juillet 1893 (le fac similé peut être consulté en suivant le lien)

Ah ! ces pauvres étudiants parisiens, ils ont assez "écopé" au cours de la dernière semaine! Ecopé non seulement des horions, mais, par surcroît, des remontrances indignées. Il semble pourtant que les premiers aient été assez, rudes pour qu'on leur fît grâce des secondes.

Mais non. Un tas de publicistes sur le retour, oublieux des temps lointains où ils avaient, eux aussi, la tête chaude et le cœur ardent leur ont inflige de cruelles harangues, où l'on s'efforçait de les représenter comme dégénérés, par comparaison avec leurs devanciers. Eh quoi ! leur disait-on, c'est à propos des jeunes dégrafées du Moulin-Rouge que vous suscitez l'insurrection ! Vos anciens eux aussi se sont pris corps à corps avec le Pouvoir. Mais c'était contre un despotisme odieux et pour de nobles et grandes causes. Rappelez-vous l'étudiant Lallemand, tué en 1820 par la police, pour avoir protesté contre les lois de réaction électorale imposées par Louis XVIII, au mépris de la Charte ; souvenez-vous de l'attitude généreuse de la jeunesse des écoles aux obsèques de Manuel ; évoquez la triste et intrépide mémoire du polytechnicien Vanneau, mourant pour la liberté sur les barricades do 1830 ; relisez l'histoire des manifestations d'étudiants protestant contre le gouvernement de Louis Philippe, coupable d'avoir fermé la bouche éloquente de Quinet et de Michelet, ou sifflant, sous l'empire, Nisard et Sainte-Beuve ralliés au césarisme, - et dites, si vos bagarres en l'honneur de Mesdames Sarah-Brown et Manon ne sont pas indignes de ces glorieuses traditions.

Sans doute, c'est là une belle amplification littéraire, et les étudiants ont été fort marris du parallèle. Mais, à dire vrai, ils ne méritent point cette indignité. Il est d'abord inexact qu'ils aient soulevé l'émeute à cause du bal des Quat-z-Arts. L'émeute est venue après eux et malgré eux. Tout leur crime c'est d'avoir organisé un monôme contre cet enragé puritain, cet empêcheur de danser en rond, qui voudrait que tous les jeunes eussent la vertu résignée que l'âge impose aux vieillards et la pudibonderie d'un Diafoirus. En "monômant", les étudiants se sont cru dans leur droit. De tout temps ils ont eu ce privilège, plus bruyant que dangereux, depuis Villon jusqu'à Henry Mürger, et sous tous les régimes, royauté, empire ou république. De notre temps encore, le monôme fait partie du legs des libertés anciennes dont jouissent les étudiants dans les pays civilisés, et chez nous, jusqu'à M. Dupuy, tous les ministères avaient respecté ces antiques franchises. Comment donc les étudiants auraient-ils pu prévoir que l'usage qu'ils allaient faire, il y a quinze jours, de ce droit incontesté autant qu'inoffensif, allait déchaîner contre eux la meute féroce des brigades centrales, et entraîner l'inutile meurtre d'un curieux ?

Tout le mal est venu de l'excès inique de la répression. Il fallait laisser le monôme développer en paix sa théorie d'adolescents tapageurs, de hardi langage mais d'innocentes actions. Quand tous ces jeunes gens auraient été las de crier, ils se seraient séparés tranquillement les uns pour chiffonner le bonnet de Mimi Pinson, les autres pour rafraîchir leurs gosiers épuisés de cris par les bocks blonds que servent, plus blondes encore, les Hébés de brasserie et, enfin, le surplus, pour piocher l'anatomie pathologique et le droit romain.

Au lieu de cela, on a voulu les assommer. Ils se sont défendus et les révolutionnaires de métier s'étant mis de la partie, Paris a été pendant huit jours en proie à une nouvelle Fronde.

Je suis de ceux qui croient que rien de tout cela ne serait arrivé si on n'eût pas mobilisé toute la police pour réprimer un simple monôme, si le gouvernement n'avait pas pris une massue pour écraser une mouche !

Jacques Mauprat


Notes
(1) Voir le compte rendu du procès sur le lien proposé en annexe 1
(2) Raoul Ponchon : (1848-1937) poète et chroniqueur, et figure montmartroise, il fréquenta tout le gratin des artistes de son temps, C'est lui l'auteur de "Quand mon verre est vide / Je le plains / Quand mon verre est plein / Je le vide" et de l'aphorisme "le veau réchauffé est meilleur froid".