le plaisir sternutatoire de l'œillet

Page mise à jour le 12/08/2015

L'œillet (extrait)

La tige, ce magnifique héros - exemple à suivre-
est un fin bambou vert
aux énergiques renflements espacés
polis comme l'ongle

Sous chacun d'eux se dégainent c'est le mot
deux très simples petits sabres
symétriquement inoffensifs

A l'extrémité promise au succès
gonfle un gland une olive souple et pointue

Qui soudain donnant lieu à une modification
bouleversante
la force à s'entrouvrir qui la fend
et d'en déboutonne ?

Un merveilleux chiffon de satin froid
un jabot à foison de flammèches froides
de languettes du même tissu
tordues et déchirées
par la violence de leur propos

Une trompette gorgée
de la redondance de ses propres cris
au pavillon déchiré par leur violence même

Tandis que pour confirmer l'importance du phénomène
se répand continûment un parfum tel
qu'il provoque dans la narine humaine
un effet de plaisir intense
presque sternutatoire.

Francis Ponge
La rage de l'expression


Note : Sternutatoire : de nature à provoquer un éternuement